A l’issue de leur rencontre au Palais de l’Élysée, mercredi 08 juillet, Thomas Bach, Président du Comité International Olympique (CIO) et Emmanuel Macron, Président de la République, sont apparus sur la même longueur d’onde en ce qui concerne la nécessaire évolution du projet de Paris 2024 à l’aune de la crise liée au Covid-19 et les efforts à mener pour respecter les engagements budgétaires.

Lorsque Paris s’est vu attribuer l’organisation des Jeux ce mercredi 13 septembre 2017 à Lima (Pérou), les membres de la délégation française n’avaient sans doute pas imaginé que moins de trois ans plus tard, les répercussions d’une crise sanitaire sans précédent bouleverseraient tout à la fois le calendrier sportif international et les préparatifs des Jeux de 2024.
Car même si les porteurs du projet tricolore s’étaient présentés devant le CIO avec un dossier solide techniquement et financièrement – reposant sur 95% de sites existants ou temporaires avec un budget viable entre engagements publics et contributions privées – la crise actuelle dépasse largement le cadre de simples aléas face auxquels un matelas de secours a toujours été intégré par les Villes Hôtes des Jeux.
Au regard des conséquences de la crise et alors que le chantier de reconstruction de l’économie – en France et dans le monde – débute à peine, le projet de Paris 2024 se doit dès lors de s’adapter à un contexte inédit avec le concours de l’ensemble des parties prenantes.
Aussi, l’entretien de ce 08 juillet entre le Président du CIO et le Président de la République Française a permis de faire un état des lieux des préparatifs en compagnie de Tony Estanguet, Président du Comité d’Organisation des Jeux (COJO) et à ce titre, qui devra être le chef d’orchestre des modulations à prévoir et à appliquer pour le projet dans les mois à venir.
Afin de rester dans les clous budgétaires fixés par le Protocole de cofinancement des Jeux en 2018, et rappelés cette semaine par le Chef de l’État, les équipes du 96 Boulevard Haussmann (8e arrondissement de Paris) sont restées en contact étroit avec celles du CIO durant les derniers mois – grâce au télétravail instauré en plein confinement – et ont même débuté un minutieux travail pour répertoriés les différents secteurs où des économies pourraient être réalisées. Autrement dit, parvenir à réduire la voilure budgétaire du COJO pour ne pas impacter les ressources – aléatoires au regard du contexte actuel – d’ici 2024.
Sur ce point, un Conseiller du Président de la République, contacté à l’issue du rendez-vous présidentiel, a néanmoins précisé :
On parle plutôt de précaution, plutôt que d’économies, car en réalité, ce ne sont pas des choses que l’on ne fera pas nécessairement. Il s’agit de regarder comment il est possible de maintenir une qualité d’organisation satisfaisante qui conduit à la tenue d’un événement exceptionnel sans prendre de risque.

Élément important, le CIO s’est montré enclin aux aménagements et s’est même engagé à contribuer à sa manière à la mise à niveau des préparatifs d’organisation des JO 2024.
Il faut dire que l’institution de Lausanne (Suisse) est parfaitement conscience des défis demandés à ce jour aux futurs organisateurs des Jeux, le CIO étant lui-même pleinement mobilisé dans la gestion du report des Jeux de Tokyo 2020 pour lesquels il a débloqué une enveloppe budgétaire exceptionnelle de 650 millions de dollars, en plus d’un geste de 150 millions de dollars à destination des Fédérations Internationales.
Dans le cas des Jeux de Paris 2024, si cela ne passera pas forcément par une rallonge de la contribution financière octroyée au COJO, cela pourrait en revanche passer par une refonte des services jusqu’alors proposés dans le cadre de l’événement, avec notamment une mutualisation de certains secteurs comme les transports destinés aux officiels et aux membres de la Famille Olympique. Il pourrait en être de même avec le dimensionnement du Village des Athlètes ou encore avec une négociation autour du nombre d’épreuves inscrites au Programme Olympique et des quotas d’athlètes appelés à participer aux compétitions.
Cette volonté du CIO d’accompagner les adaptations du projet de Paris 2024 a en tout cas été appréciée du côté du Palais présidentiel. Comme il a ainsi été mentionné :
Le fait que le CIO soit prêt à contribuer à cet effort auprès du COJO, et que le COJO ne soit pas seul dans cette démarche nous a rassuré. Cela va permettre d’éviter par exemple que le COJO ait l’obligation de mutualiser des sites ou de dégrader la qualité de l’événement.
Le CIO est prêt à prendre sa part et cela est plutôt rassurant.
Il n’empêche, le COJO va tout de même mettre toutes les cartes sur la table, au sens propre comme au sens figuré, pour identifier des points d’amélioration et de restructuration afin d’abaisser le niveau d’investissements de 10% sur le budget d’organisation, soit entre 300 et 400 millions d’euros, sachant que ledit budget est aujourd’hui plafonné à 3,8 milliards d’euros.
Pour Tony Estanguet, une partie de la solution pourrait résider dans une refonte du modèle entourant les sites temporaires, qui compte pour 25% du concept des Jeux, outre les 75% de sites existants et les 5% à construire ; Centre Aquatique Olympique et Aréna de la Porte de la Chapelle, bien que cette dernière soit programmée indépendamment des Jeux.
Le triple Champion Olympique de canoë-kayak et membre du CIO jusqu’en 2021 a en ce sens affirmé :
[Il doit être possible de] réduire ce pourcentage de sites temporaires en s’appuyant encore plus sur des sites déjà existants. Aujourd’hui, on doit ouvrir les différentes options de tous les sites temporaires. Tous les territoires vont potentiellement être impactés.
Un propos qui préfigure de probables chamboulements à venir pour le concept présenté au CIO et sécurisé auprès de l’ensemble des parties prenantes depuis bientôt trois ans.
Il paraît toutefois difficilement envisageable de revenir sur la mobilisation de sites temporaires iconiques comme le Grand Palais, l’Esplanade des Invalides ou encore le Champ-de-Mars perçus comme des vitrines de l’excellence à la française. En revanche, les sites temporaires prévus pour le volleyball, le tir, le basket-fauteuil et le rugby-fauteuil en Seine-Saint-Denis pourraient être supprimés au profit de structures existantes.

Les retards officialisés cette semaine pour la livraison des lignes 16 et 17 du Grand Paris Express sont un argument que le COJO pourrait d’ailleurs mettre en exergue pour justifier cette ponction sur un territoire déjà impacté par de précédentes modulations.
En effet, le dispositif prévu dans le deuxième volet du dossier de candidature de Paris 2024 faisait du secteur de Dugny – Le Bourget un cluster à part entière, avec une série d’épreuves et de tournois alors planifiés sur place.
De fait, le Pavillon 1 temporaire devait accueillir le badminton, puis le badminton paralympique et l’escrime-fauteuil avec une capacité globale de 7 850 spectateurs. L’aménagement de cette structure à la charge du COJO avait à ce moment-là été estimé à 18,575 millions de dollars (valeur 2016).
Le Pavillon 2, découpé en deux salles distinctes, devait pour sa part recevoir le tournoi olympique de volleyball, puis le tournoi paralympique de volleyball assis, avec également les épreuves de boccia. D’une capacité de 5 560 places pour la première salle et de 13 010 places pour la seconde, la structure – là-aussi temporaire – était envisagée pour 44,921 millions de dollars.
Enfin, le Stand de tir (4 120 places) complétait en 2016 le dispositif pensé autour de Dugny – Le Bourget, moyennant un investissement de 18,356 millions de dollars, dont 5,7 millions à la charge de l’État – le terrain étant situé sur un site autrefois occupé par le Ministère de la Défense – et 12,656 millions de dollars apportés par le COJO.
A ces sites et épreuves, il convient aussi de rappeler que le tournoi olympique de water-polo devait initialement prendre place au sein de la Piscine de Marville, au niveau du Parc de La Courneuve, avec des aménagements à hauteur de 16,786 millions de dollars à la charge du COJO.
Mais par un jeu de chaises musicales, orchestré par le Comité d’Organisation avec le concours des Fédérations Internationales, les dernières revues de projet ont conduit à un déplacement de certaines compétitions.
Ainsi, le badminton a été déplacé du Bourget jusqu’à l’Aréna de la Porte de la Chapelle dont la construction est enclenchée dans le 18e arrondissement de la capitale, tandis que l’escrime-fauteuil est désormais programmé au Grand Palais. Le water-polo a pour sa part été délocalisé sur le site du Centre Aquatique Olympique à Saint-Denis, tout comme la boccia. Le volleyball assis est quant à lui prévu sur le Court Suzanne Lenglen de Roland Garros (16e arrondissement) pour lequel l’aménagement d’une toiture légère est projeté d’ici 2023-2024.
Compte-tenu de ces changements déjà opérés, le cluster de Dugny – Le Bourget se retrouve aujourd’hui quelque peu désossé, avec non plus neuf sports olympiques et paralympiques représentés, mais seulement cinq. Certes, le départ de deux sports olympiques et de quatre sports paralympiques a été compensé par la venue de deux sports jusqu’alors programmés à Roland Garros, à savoir le tournoi paralympique préliminaire de basket-fauteuil et le tournoi de rugby-fauteuil, mais les bouleversements à venir pourraient à nouveau rebattre les cartes du jeu.
A ce stade, cette partie de la Seine-Saint-Denis conserve néanmoins le Village des Médias – dont la promesse de logements en héritage pour le territoire constitue un cheval de bataille que les élus locaux n’entendent pas abandonner – de même que le Centre de Presse qui doit s’installer au Parc des Expositions du Bourget.

La revue de projet devra en tout cas veiller à conserver un équilibre territorial cher au Président de la République qui a réitéré son souhait de voir les Jeux de Paris 2024 être les Jeux non pas d’une ville, mais d’un pays et, dans le cas précis de la Seine-Saint-Denis, d’un territoire largement délaissé par les politiques publiques au cours des dernières décennies.
Comme l’a en effet expliqué le Conseiller du Chef de l’État :
Le Président a eu l’occasion de dire à Thomas Bach et à Tony Estanguet, la vigilance de l’État et la sienne sur le fait que le projet des Jeux est un projet qui avait été promu comme un élément du rééquilibrage territorial en Île-de-France et qu’il ne fallait pas perdre cette orientation stratégique qui paraît pertinente et utile.
L’héritage des Jeux, ce n’est pas juste un héritage parisien, c’est un héritage national – nous l’assumons – et pour le territoire de la Seine-Saint-Denis, un héritage sur le modèle de ce que Londres 2012 a pu faire.
Si des efforts budgétaires doivent être réalisés, ils ne devront donc pas se faire au détriment de l’héritage.
Tel est en substance le message que le Président de la République a souhaité faire passer à ses visiteurs. Au-delà de l’héritage, Emmanuel Macron a également fait savoir que la promesse environnementale de Paris 2024 ne saurait être sacrifiée et que les efforts dans ce domaine devait même s’accroître dans la perspective des Jeux.
Cela pourrait en particulier concerner les chantiers d’envergure sur le plan de l’aménagement urbain, des chantiers comprenant notamment les 51 hectares du Village des Athlètes dans le secteur de Saint-Denis, Saint-Ouen et L’Île-Saint-Denis.
La délicate équation mêlant tout à la fois l’héritage attendu des Jeux et l’aspect durable de l’événement, va sans doute aussi interroger la pertinence des choix de sites relatifs aux sports additionnels.
Même si le COJO ne veut pas – à ce stade – envisager la suppression pure et simple du stade temporaire de la Place de la Concorde au profit d’un ou de plusieurs équipements moins iconiques mais d’ores et déjà fonctionnels, la voilure du dispositif (35 000 places et plusieurs dizaines de millions d’euros estimés) pourrait tout de même être révisée.
En ce qui concerne le choix de Tahiti pour accueillir les épreuves de surf de Paris 2024, le COJO ne souhaite pas non plus amender sa copie pour l’instant, mais le contexte nouveau amené par la crise sanitaire et économique, couplé à l’exigence environnementale, pourrait in fine conduire à une relocalisation éventuelle desdites épreuves, par exemple sur la côte atlantique où plusieurs spots avaient fait acte de candidature face à la Polynésie Française.
Au mois d’avril dernier, ces deux points du projet avaient interrogé Guy Drut, membre du CIO et Conseiller stratégique de Tony Estanguet.
Celui qui fut Champion Olympique du 110 mètres haies aux Jeux de Montréal 1976, avait alors regardé d’un œil circonspect le choix d’un site du calibre de la Concorde – la plus vaste place de la capitale – et celui de Tahiti, pour lequel il s’était même abstenu.
L’ancien athlète avait à ce moment-là plaidé pour une nécessaire réévaluation budgétaire et pour un recentrage du projet afin de ne pas perdre l’esprit de la candidature du point de vue technique, avec une compacité du dispositif général, et émotionnel, avec les notions de partage et d’héritage placées en porte-étendard du projet.

Outre la question cruciale des sites, Paris 2024 va également devoir composer avec un Programme des Sponsors dont les ressources pourraient s’avérer être moins fournies que les prévisions initiales (1,2 milliard d’euros).
En effet, si des partenariats ont déjà été actés depuis trois ans, et alors que d’autres sont en cours de finalisation, certains en revanche ont volontairement été décalés dans le temps. Cela répond certes, au contexte actuel peu propice pour les entreprises qui doivent affronter la crise, ainsi qu’à la volonté de ne pas conclure des accords au rabais susceptibles d’impacter plus ou moins fortement le niveau des revenus perçus.
Dans l’attente d’une reprise de l’activité économique, les efforts à mener devront donc prendre en considération à la fois l’aspect des dépenses du COJO, mais aussi l’aspect portant sur les recettes espérées.
Une chose est toutefois acquise. Si le budget d’organisation lié au COJO devra immanquablement dégager des marges de manœuvre, l’engagement de l’État et des Collectivités Territoriales associées au projet sera en revanche maintenu et ne subira donc pas les conséquences de la crise.
Pour rappel, durant la phase de candidature, Paris 2024 avait projeté un budget d’organisation de 3,8 milliards d’euros, quasiment autofinancé par le Programme des Sponsors, la contribution du CIO, la billetterie, mais encore les produits dérivés qui seront édités d’ici 2024. A cette somme, 3 milliards d’euros d’investissements avaient été annoncés, avec un peu plus de 1,554 milliard d’euros en provenance de l’État et des partenaires territoriaux du projet.
Dans le détail, et comme mentionné dans le Protocole de cofinancement des Jeux, l’État s’est engagé à fournir une enveloppe à hauteur de 1 milliard d’euros, là où la Région Île-de-France et la Ville de Paris doivent respectivement abonder pour 209 millions et 145 millions d’euros. Acteur-clé de la candidature et du projet jusqu’à présent, le Département de la Seine-Saint-Denis doit établir une contribution de 67,4 millions d’euros, tandis que l’Établissement Public Territorial de Plaine Commune (Secteur de Pleyel – L’Île-Saint-Denis) et celui de Paris Terres d’Envol (Secteur du Bourget) ont convenu d’une participation respective de 35 millions et de 20 millions d’euros. Du côté des autres acteurs locaux impliqués dans la mise en application du projet olympique et paralympique – à savoir les villes comme Marseille mobilisées pour le tournoi de football et la voile – la contribution est prévue pour un montant de 78,4 millions d’euros.

Prudence et anticipation semblent plus que jamais être les maîtres-mots pour une préparation des Jeux optimale et ce, à l’initiative tout à la fois du COJO, mais également du CIO qui apprend de certaines éditions olympiques passées où l’accompagnement aurait sans doute pu être plus soutenu et qui mesure surtout le challenge à relever face à une situation sanitaire et économique mondiale encore incertaine.
La visite de Thomas Bach cette semaine en France avait d’ailleurs vocation à partager un message de bienveillance, l’institution olympique – régulièrement pointée du doigt – étant soucieuse de promouvoir ses réformes-clés que sont l’Agenda 2020 et la Nouvelle Norme pour montrer que les Jeux peuvent s’adapter à la situation post-Covid-19 et qu’ils peuvent même être un acteur potentiel du changement en lien avec les territoires-hôtes.
Au cours des mois passés, le message a d’ailleurs été plus que clair à ce sujet, Thomas Bach martelant à de nombreuses reprises que le report des Jeux de Tokyo 2020 devait être perçu comme une opportunité et que la célébration de cette édition serait le symbole de “la lumière au bout du tunnel”.
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