A l’aune du succès de l’organisation de la Coupe du Monde de football qui s’est achevée ce dimanche, le Qatar va immanquablement poursuivre sa quête de grands rendez-vous sportifs dans les années à venir, avec un objectif prioritaire identifié autour des Jeux Olympiques et Paralympiques d’été.

Éliminé du processus de candidature pour 2016 et 2020 au stade de la requérance, puis écarté de la course aux Jeux de 2032 attribués à Brisbane (Australie), le Qatar entend aujourd’hui faire fructifier l’expérience acquise par l’organisation du Mondial de football pour accroître encore davantage sa place dans le concert des nations sportives.
L’enjeu est aussi celui de maintenir un certain leadership régional, alors que l’Arabie Saoudite montre elle-aussi une ambition débordante dans la sphère sportive.
Pour y parvenir, le Qatar mise bien sûr grandement sur les investissements colossaux réalisés dans l’optique du rendez-vous footballistique planétaire et qui ne se limitent pas au seul aménagement des stades pour un coût estimé à environ 7 milliards de dollars.
Les sites existants du monumental complexe de l’Aspire Zone représentent également une carte-maîtresse de la stratégie qatarie dans la perspective d’une nouvelle candidature.
En 2021, le Comité Olympique du Qatar (QOC) avait d’ailleurs souligné que :
Le plan directeur des sites comprend plus de 80% de sites existants, qui ont tous été essayés et testés par les Fédérations Internationales lors de nombreux événements de haut niveau organisés au Qatar, à l’instar des Championnats du Monde d’athlétisme en 2019 et des Championnats du Monde de gymnastique artistique en 2018.
La vaste expérience du Qatar dans l’organisation d’événements sportifs majeurs se développera encore dans les années à venir avec la Coupe du Monde de football en 2022, les Championnats du Monde de natation en 2023, les Championnats du Monde de judo en 2023, et les Jeux Asiatiques en 2030, entre autres.
Plus que jamais, le Qatar apparaît donc comme un candidat évident à l’accueil des Jeux. Aucune échéance n’est à l’heure actuelle évoquée, mais 2036 reste la première disponible dans le calendrier olympique.
Cela laisse dès lors le temps aux autorités nationales de préparer un projet retenant tout à la fois les leçons des trois dernières candidatures et les enseignements tirés de l’organisation de diverses manifestations sportives.
Les défis restent néanmoins nombreux, que ce soit pour une organisation seule ou en commun avec un ou plusieurs pays.
Si la Coupe du Monde de football 2022 a in fine permis de célébrer le sport et de donner une image de marque respectable pour le pays après des années de polémiques et de critiques, tant sur les questions des droits humains que de la problématique environnementale, ces dernières pourraient rapidement refaire surface.
En outre, la dimension des Jeux étant autrement différente de celle d’une Coupe du Monde, le challenge organisationnel sera décuplé, alors que la Grèce demeure à ce jour le plus petit pays à avoir organisé les Jeux modernes avec les défaillances constatées en 2004 et surtout après. Certes, les moyens économiques à disposition de Doha sont bien supérieurs à ceux d’Athènes, mais la capacité à absorber le flux de millions de voyageurs, la venue parallèle de milliers d’athlètes, l’hébergement et le transport de ces derniers, sans compter la mobilisation et l’adaptation de dizaines d’enceintes sportives existantes constituent des défis majeurs que des hôtes expérimentés ont parfois pu affronter de manière délicate.
A cela s’ajoute aussi la problématique du calendrier des Jeux, avec inévitablement un positionnement en fin d’année, comme pour la Coupe du Monde de football 2022. Or, des discussions sans doute pointues devront être engagées avec les partenaires olympiques mondiaux, mais surtout avec les diffuseurs – et en particulier la puissante NBC – pour convenir des meilleures opportunités de part et d’autre.
Jusqu’à présent, le Comité International Olympique (CIO) n’a jamais ouvert les portes des Jeux au Qatar au-delà de la phase de requérance qui constituait l’une des deux phases du processus de sélection de la Ville Hôte jusqu’à ces dernières années.

Pour les Jeux de 2016, la candidature qatarie avait avancé l’idée d’organiser l’événement olympique entre le 14 et le 30 octobre, puis l’événement paralympique du 12 au 23 novembre.
Pour cette édition, le dossier de requérance développait en ces termes la vision de Doha 2016 :
Les idéaux olympiques sont propices au changement : changement d’attitude, changement de perception, changement de mode de vie.
Les Jeux de 2016 à Doha seront une source d’inspiration pour le changement et le progrès social.
Comme il s’agira de la première édition des Jeux Olympiques en terre arabophone, Doha 2016 rendra hommage à l’esprit olympique en y ajoutant une touche d’originalité. L’association de la culture arabe et du rêve olympique offrira au monde un exemple nouveau de la capacité de l’Olympisme à rassembler des cultures et des peuples différents, dans la fraternité et le fair-play.
A l’époque lors de sa présentation en 2008, le projet reposait sur l’existence de plus de 70% de sites répartis au sein de trois complexes principaux et cinq complexes intermédiaires, avec un seul et unique Village des Athlètes, ainsi qu’un Village des Médias.
Pour défendre les intérêts de sa candidature, Doha 2016 avait projeté un budget de 48 millions de dollars, soit 11 millions pour la phase de requérance et 37 millions pour la phase de candidature. Sur ce package global, pas moins de 44 millions de dollars auraient été apportés par le gouvernement du Qatar et seulement 4 millions par le secteur privé.
Concernant cette fois le budget d’organisation des Jeux, Doha 2016 avait évoqué une participation à hauteur de 60% par les pouvoirs publics, et de 40% par le biais d’investissements privés. L’Etat devait ainsi fournir une enveloppe de l’ordre de 1,175 milliard de dollars.
En dépit de ces engagements, le CIO avait fait le choix de recaler la candidature qatarie au stade de la requérance, bien que celle-ci se soit distinguée par des notes minimales et maximales plus que respectables dans le cadre du Rapport du Groupe de Travail du CIO, voire même supérieures dans le domaine des finances (6,7 à 8,6) à des rivales comme Chicago (Etats-Unis ; 6,5 à 8,0), Rio de Janeiro (Brésil ; 6,0 à 7,7), et Madrid (Espagne ; 6,5 à 8,5) pourtant toutes trois confirmées en phase de candidature.
Sur le plan de l’opinion publique et du soutien gouvernemental affiché à l’égard du projet, Doha 2016 bénéficiait là-encore d’un appui plus que conséquent qui lui permettait d’obtenir des notes au-dessus de la moyenne des autres prétendantes (7,0 à 8,7), et dans un niveau peu ou prou comparable à celui de Madrid (7,5 à 9,0) et de Rio de Janeiro (7,3 à 8,8).
Concernant l’infrastructure générale – incluant les transports et les télécommunications – Doha 2016 était également en bonne position (5,5 à 7,5) rivalisant en cela avec Chicago (5,5 à 7,4), mais restant en deçà de Tokyo (7,6 à 8,9) et Madrid (7,9 à 8,9). Il en fut de même concernant le critères des sites sportifs, avec des notes élevées (6,8 à 8,2) plaçant la candidature qatarie au-dessus de Chicago (5,8 à 7,2), Rio de Janeiro (5,8 à 7,4) et dans le sillage de Tokyo (6,9 à 8,7) et de Madrid (7,9 à 8,8).
Aussi surprenant que cela puisse paraître – notamment au regard des critiques actuelles – la candidature avait par ailleurs obtenu de bonnes appréciations (6,4 à 8,2) sur le plan environnemental (conditions et impact) et ce, grâce à l’importance des sites existants avancés dans le dossier de requérance.
En revanche, Doha 2016 était apparue en retard sur le plan de l’hébergement – un critère également pointé du doigt lors de la Coupe du Monde 2022 – avec des notes en dessous de Chicago, Tokyo et Madrid (5,5 à 7,7). Le projet du Qatar avait en outre été jugé moins bien adapté sur le domaine stratégique de la sûreté et de la sécurité (5,5 à 7,1) par rapport aux trois villes précitées, avec néanmoins une notation supérieure à celle de Rio de Janeiro (4,6 à 7,0).
In fine, Doha affichait à l’aune du Rapport du Groupe de Travail du CIO une moyenne de l’ordre de 6,9, soit au-dessus de Rio (6,4), légèrement en dessous de Chicago (7,0), mais cependant loin de Madrid (8,1) et de Tokyo (8,3) qui faisaient alors la course en tête, techniquement parlant.
Cette moyenne aurait alors pu permettre à la candidature de se qualifier pour la phase finale du processus de sélection de la Ville Hôte. Néanmoins, en juin 2008, la Commission Exécutive du CIO avait préféré sélectionner à l’unanimité les candidatures de Chicago, Tokyo, Rio de Janeiro et Madrid, écartant de facto Doha, mais aussi Prague (République Tchèque) et Bakou (Azerbaïdjan).
L’argument avancé par l’instance olympique pour justifier de ce rejet du projet qatari tenait à un point bien particulier, évoqué précédemment comme possible pierre d’achoppement pour une future candidature : les dates proposées susceptibles d’entrer en conflit avec le reste du calendrier sportif international.
Malgré cet échec, Doha a poursuivi sa stratégie en développant une nouvelle candidature ciblée cette fois-ci sur l’échéance des Jeux de 2020.

Pour cette édition, la candidature qatarie proposa un calendrier compris entre le 02 et le 18 octobre pour la célébration des Jeux Olympiques, et entre le 04 et le 15 novembre pour celle des Jeux Paralympiques, et exposa en outre dans le cadre du dossier de requérance :
Le souhait de Doha de devenir Ville Hôte en 2020 s’inscrit dans notre engagement à apporter les Jeux au Moyen-Orient pour la première fois. Les pays arabes sont en pleine mutation.
Dans ce contexte, cette période est idéale pour organiser les Jeux dans cette région.
L’Olympisme pourra façonner un avenir positif de différentes façons, notamment en matière d’émancipation des femmes.
Doha désire inspirer les jeunes de la ville, du pays et de la région : cette génération pleine d’enthousiasme qui cherche sa place dans le monde. Les valeurs olympiques seront l’étincelle qui encouragera l’unité sociale, la participation et le développement. Ces valeurs essentielles, avec leur accent sur le sport, seront le modèle du développement de Doha et sa région.
Au moment de soumettre sa candidature, Doha 2020 avait par ailleurs souligné l’importance de l’adhésion populaire au projet – 82% des habitants de Doha et sa région -, et surtout le fait que 74% de la population qatarie étaient alors âgée de moins de 39 ans.
Doha 2020 développa un concept autour de cinq zones, avec 9% de sites temporaires, 35% de sites existants, et 56% de sites prévus, avec en outre – comme pour la candidature aux JO 2016 – l’aménagement d’un seul et unique Village des Athlètes sur un terrain de 100 hectares propriété de l’Université du Qatar, ainsi que la construction d’un Village des Médias.
A l’instar également de sa précédente candidature, le Qatar avait avancé l’idée d’un financement du budget d’organisation à hauteur de 60% par des fonds publics – 1,275 milliard de dollars – et à 40% par des fonds privés.
Pour la partie relative aux investissements hors-Comité d’Organisation, la facture globale des sites avait été chiffrée à quelques 8,514 milliards de dollars, dont 1,5 milliard pour le Village des Athlètes, avec une large part supportée par le secteur public.
Pour la promotion de la candidature, Doha 2020 avait par ailleurs présenté un budget estimatif de l’ordre de 73 millions de dollars, soit 21,9 millions pour la phase de requérance et 51,1 millions pour la phase de candidature.
A l’issue de l’examen du projet qatari, le Groupe de Travail du CIO réalisa un Rapport en date du 05 avril 2012, présenté par la suite devant la Commission Exécutive de l’institution olympique, en mai de la même année.
Dans ledit Rapport, le Groupe de Travail souligna rapidement que :
Suite à l’acceptation des Villes Requérantes 2020, la Commission Exécutive a noté avec satisfaction que toutes les Villes remplissaient les conditions préalables, à l’exception d’une, tel qu’indiqué ci-après.
Doha a en effet demandé à pouvoir organiser les Jeux Olympiques de 2020 entre le 20 septembre et le 20 octobre 2020.
La Commission Exécutive du CIO a informé Doha qu’elle acceptait cette demande sur le principe, mais a prié Doha de lui fournir des garanties concernant : – la protection de la santé des athlètes ; – le calendrier des compétitions, afin que celui-ci n’ait pas d’impact négatif sur la diffusion ou l’expérience des spectateurs ; et – les mesures de protection sanitaire du public et du personnel en charge de l’appui technique.
Le Rapport avait par la suite fait mention de l’expérience en cours d’acquisition par le Qatar dans le domaine de l’organisation de grands événements, en estimant néanmoins qu’une expertise et qu’un soutien extérieur seraient nécessaires pour assurer la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques.
Le Groupe de Travail avait également souligné l’importance de fournir des informations complémentaires en ce qui concerne la pollution atmosphérique et l’impact environnemental, avec la nécessité de comparer les données communiquées par la candidature avec les normes internationales en vigueur.
Comme pour le projet développé pour 2016, la candidature de Doha 2020 fut aussi jugée en décalage sur le plan de l’hébergement avec une insuffisance de nombres de chambres pour satisfaire aux critères fixés par le CIO, pointant en particulier le fait que nombre d’ouvriers puis de spectateurs viendraient de l’étranger.
Si dans le domaine des transports, le Groupe de Travail avait salué l’importance et la qualité des investissements planifiés – pour partie d’ailleurs dans l’optique de la Coupe du Monde de football 2022 – il avait cependant estimé que la livraison de ce programme dans un délai restreint apparaissait comme ambitieuse.
De manière sans doute plus évidente que lors de l’examen de la précédente candidature, le Groupe de Travail avait, dans les conclusions de son Rapport, renvoyé à la Commission Exécutive le soin de se prononcer clairement sur la faisabilité du projet présenté par Doha 2020, alors même que les notes techniques pouvaient, sur bien des domaines, permettre une qualification du Qatar pour la phase de candidature.
Parmi les éléments alors évoqués, ledit Groupe exposa notamment que :
La tâche du Groupe de Travail pour l’évaluation de la candidature de Doha a […] été difficile.
Pour un pays de la taille du Qatar, avoir l’ambition d’accueillir deux des plus prestigieuses manifestations sportives du monde en l’espace de deux ans – à savoir les Jeux Olympiques en 2020 et la Coupe du Monde de la FIFA en 2022 – présente un certain nombre de défis et de risques importants, en particulier lorsque la tenue de l’événement le plus complexe sur le plan organisationnel a lieu en premier.
In fine, la Commission Exécutive du CIO écarta Doha de la course aux JO 2020, tout comme Bakou, revenante elle-aussi du processus pour 2016, ne retenant alors que les candidatures de Tokyo, Madrid, et Istanbul (Turquie).
Si la question des dates d’organisation de l’événement a pu apparaître comme problématique, à l’image de la critique formulée pour 2016, la problématique plus large de la tenue des deux plus grands événements de la planète sur un territoire aux dimensions plus que limitées a pu constituer un argument massif pour rejeter la candidature au stade de la requérance.
Il faut dire que le CIO présidé à l’époque par Jacques Rogge, avait encore en mémoire le souvenir chaotique de l’organisation et surtout de l’héritage des Jeux d’Athènes 2004. En renvoyant le dossier qatari, l’institution de Lausanne (Suisse) exprima dès lors une considération davantage portée sur la faisabilité que sur la prise en compte des moyens financiers.

Aujourd’hui, la qualité organisationnelle de la Coupe du Monde de football 2022 pourrait toutefois servir la cause d’une nouvelle candidature du Qatar qui pourra également capitaliser sur l’accueil des Jeux Asiatiques en 2030, l’événement continental ayant d’ailleurs déjà été organisé par le pays en 2006.
La réforme du processus de sélection du futur hôte des Jeux – avec non plus une phase de requérance et de candidature, mais une phase de dialogue continu et, le cas échéant de dialogue ciblé – pourrait aussi profiter à un nouveau projet qatari.
Il conviendra cependant pour le CIO d’examiner les offres de l’ensemble des parties en présence, sachant qu’au moins dix Comités Nationaux Olympiques (CNO) ont à ce stade exprimé un intérêt pour une future édition des Jeux d’été, parmi lesquels la Corée du Sud, l’Inde, l’Indonésie, le Mexique, mais encore l’Egypte et la Turquie qui, à l’échelle régionale, pourraient toutes deux représenter des concurrentes du Qatar, la seconde en étant même à sa sixième tentative d’obtenir les Jeux d’été.
Doha pourrait surtout se retrouver en concurrence frontale avec l’Arabie Saoudite qui montre aussi une ambition majeure – voire démesurée – pour espérer décrocher les plus grands événements sportifs au cours des quinze prochaines années.
Si les temps ont changé, il n’est pas certain cependant que le regard du CIO sur le Qatar soit différent que lors de l’examen des précédentes candidatures. En octobre 2019, en marge des Championnats du Monde d’athlétisme, Guy Drut, membre français du CIO avait exprimé une opinion certes personnelle, mais qui pourrait encore être partagée par nombre de ses pairs au sein de l’institution olympique :
Franchement, je ne pense pas [qu’il soit raisonnable d’envisager les Jeux ici au Qatar]. Ils devraient se concentrer sur des compétitions indoor.