Paris 2024 : Des inquiétudes légitimes après le fiasco du Stade de France

A moins de 790 jours de la Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques d’été de Paris 2024, le fiasco organisationnel de la finale de la Ligue des Champions, samedi dernier au Stade de France, soulève des inquiétudes légitimes quant à la capacité de la France à gérer un flux massif de spectateurs et à assurer la sécurité dans et en dehors des enceintes sportives.

Vue du parvis du Stade de France au coucher du soleil (Crédits – Stade de France)

Quarante-huit heures après la soirée chaotique au Stade de France, les acteurs institutionnels s’étaient donnés rendez-vous, ce lundi 30 mai, au Ministère des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, pour évoquer ladite soirée et en tirer les conclusions appropriées dans l’optique des futures grandes échéances sportives que l’Hexagone doit organiser dans les prochaines années.

A l’issue de cette réunion capitale, force est de constater que le Ministère précité, mais aussi et surtout le Ministère de l’Intérieur, demeurent dans une posture idéologique, sans aucune remise en question notoire du dispositif instauré pour l’événement.

Or, le cœur du problème réside pourtant dans la manière dont les organisateurs – et l’UEFA est ici en première ligne – et les pouvoirs publics ont préparé la soirée du 28 mai et ce, après l’annonce de la délocalisation de la finale de la Ligue des Champions de Saint-Pétersbourg (Russie) à Paris.

Si le laps de temps entre cette annonce et le déroulement du match est une équation parmi d’autres, l’expérience de la France dans l’accueil de grands événements internationaux aurait dû permettre une meilleure planification et une approche plus pragmatique des risques entourant ce type de rencontres sportives.

De fait, en remettant la faute sur une partie des milliers de supporters anglais de Liverpool, le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, a très tôt montré les limites de l’argumentaire institutionnel, davantage soucieux de ne pas faire de vague à moins de quinze jours du premier tour des élections législatives en France, que de regarder les problèmes en face.

Réunion organisée le lundi 30 mai 2022 par les Ministres des Sports et des Jeux Olympiques et Paralympiques, et de l’Intérieur, suite aux incidents lors de la finale de la Ligue des Champions, avec la participation de représentants de l’UEFA, de la Fédération Française de Football, du Stade de France, de la Préfecture de Police, de la Préfecture de Seine-Saint-Denis, de la Ville de Saint-Denis.

Certes, certains supporters ont tenté de pénétrer sur le parvis du Stade de France et dans l’enceinte saint-dionysienne sans disposer du précieux sésame. Tout sauf une nouveauté lorsqu’il s’agit d’un match de football et, plus encore, d’une rencontre au sommet comme la finale de la Ligue des Champions, véritable grand-messe annuelle du football européen et international.

Si le nombre de spectateurs dans cette situation peut laisser perplexe – 30 000 à 40 000 selon les autorités tricolores – il n’en demeure pas moins que la gestion-même de ce risque n’a pas été à la hauteur.

Il conviendra pourtant de remédier au plus vite à ce risque, sachant que la France s’apprête, coup sur coup, à recevoir la Coupe du Monde de rugby en 2023, puis les Jeux Olympiques et Paralympiques d’été en 2024. A l’image des faux billets de banque, les tickets d’entrée pour des événements sportifs peuvent être falsifiés, c’est une évidence. Reste à trouver désormais des parades susceptibles de contrecarrer au mieux ce fléau déjà connu.

Outre cette problématique de la billetterie – ou plutôt de la fausse-billetterie – il est à percevoir aussi dans la situation tendue de samedi soir, les multiples tentatives d’intrusions dans l’enceinte commises par des riverains sans doute désireux de pouvoir assister à une rencontre rêvée mettant en scène deux des plus puissantes équipes européennes de football. Certains d’entre eux ont également tenté – avec plus ou moins de réussite – de subtiliser des billets valides ou tout autre effet personnel aux spectateurs qui patientaient péniblement devant les grilles d’accès au stade.

Cette réalité doit là-aussi interroger les pouvoirs publics sur leur capacité et leur volonté d’associer plus encore les résidents à l’aménagement du territoire et à la perspective d’accueillir de grands événements.

Pour la Seine-Saint-Denis, l’équation est évidemment complexe, avec un département parmi les plus jeunes et les plus pauvres de France, mais qui, paradoxalement, est régulièrement le théâtre de manifestations sportives et culturelles d’ampleur au sein du Stade de France conçu en prévision de la Coupe du Monde de football 1998, la fameuse année “black – blanc – beur” que le gouvernement de l’époque et le Chef de l’État d’alors avaient essayé de profiter.

Vingt-quatre ans plus tard cependant, et malgré les opportunités, la Seine-Saint-Denis demeure encore largement perçue comme un département banlieusard, avec les aspects négatifs qui accompagnent ce qualificatif.

Pour contrer cette image péjorative, les organisateurs des futurs JO 2024 ont, dès la phase de candidature, souhaité associer la Seine-Saint-Denis au dispositif de l’événement planétaire, en faisant de ce territoire, l’un des cœurs battants des Jeux, au même titre que Paris.

Cette approche – travaillée depuis les locaux originaux de Paris 2024 dans le 8ème arrondissement de la capitale avant que le Comité d’Organisation (COJO) ne gagne l’extérieur de Paris – souffre toutefois de certains écueils liés, à n’en pas douter, à une méconnaissance du territoire et de sa population par les leaders et autres conseillers de l’ombre. Ladite approche – bien que largement revue et corrigée avec les retraits de sites orchestrés depuis 2017 – demeure dans le même temps digne de l’état d’esprit olympique qui cherche à valoriser, parfois à l’excès, l’image de tremplin des Jeux pour le développement du territoire-hôte.

Pour Paris 2024 dès lors, le fiasco de samedi soir ne saurait rester sans réponse et devra immanquablement donner lieu à une profonde introspection, pour mieux imprégner le département et davantage accompagner les acteurs sportifs et culturels du quotidien (clubs, associations, etc.) qui, eux, connaissent les spécificités de la Seine-Saint-Denis.

Le déroulement in situ de la prochaine Journée Olympique ne sera en ce sens pas suffisant, loin de là.

Visuel de la Seine olympique pour la Cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris 2024 (Crédits – Paris 2024 / Florian Hulleu)

Au-delà de l’aspect territorial, la gestion de l’événement du week-end passé doit aussi être ciblée du côté de la sécurité.

Malgré la mobilisation de près de 7 000 forces de l’ordre, la Préfecture de Police n’a – à l’évidence – pas su contrôler l’événement. Bien sûr, l’organisateur dudit événement est responsable de la sécurité dans l’enceinte sportive, mais la responsabilité est partagée lorsque les forces en présence utilisent de manière disproportionnée – ou en tout cas non-adaptée – du gaz lacrymogène pour disperser la foule présente près des grilles d’accès sur le parvis. En agissant de la sorte, les forces de l’ordre – et en premier chef la Préfecture de Police – ont fait preuve d’une incroyable fébrilité face à une foule comportant pourtant nombre d’enfants et de familles, ainsi que l’ont démontré les multiples témoignages véhiculés depuis samedi dans les médias.

Sur ce point, il est à s’interroger sur la pertinence de maintenir en fonction un Préfet de Police – Didier Lallement – certainement essoré par plusieurs années de gestion des crises sociales qui ont traversé et émaillé Paris et la France dans son ensemble.

A l’approche d’un événement comme les JO, il apparaît en effet essentiel que les pouvoirs publics soient en capacité de relever le défi sécuritaire sans donner l’image d’une répression tout azimut, sans aucune distinction entre les fauteurs de troubles et les véritables spectateurs. Aussi, l’étude plus approfondie des événements passés en France et des manifestations sportives organisées à l’étranger au cours des dernières années doit devenir un credo. Pour organiser au mieux les Jeux, les autorités doivent de fait pouvoir répondre au maximum à l’ensemble des problématiques liées à pareil événement, en s’inspirant et en prenant exemple des bonnes pratiques instaurées par de précédents hôtes.

Toujours du point de la vue de la sécurité, mais également de la logistique, la manière dont a été assuré le filtrage des spectateurs à l’arrivée devant l’enceinte sportive de 80 000 places doit elle-aussi être analysée. Avec plusieurs dizaines de milliers de personnes dans les travées du Stade de France et plusieurs milliers d’autres à l’extérieur, dans une ambiance des plus tendues, nul doute qu’un drame aurait pu se produire, avec des conséquences bien plus dévastatrices que le seul fiasco organisationnel de samedi.

Là-encore néanmoins, la posture des Ministères et des organisateurs laisse perplexe et sème un peu plus le doute à deux ans de l’ouverture des Jeux de Paris 2024, surtout si l’on considère le projet ambitieux – et risqué – de tenir la Cérémonie inaugurale le long de la Seine, en plein cœur de la “Ville Lumière”, en présence de 600 000 spectateurs avec et sans billets, selon l’emplacement délimité sur les quais hauts ou les tribunes aménagées.

Comme chacune des parties aux Jeux, le Comité International Olympique (CIO) a vu les images extra-sportives de ce week-end et pourrait légitimement demander des explications aux organisateurs de la prochaine Olympiade, sans attendre la venue dans l’Hexagone, courant août, de la Commission de Coordination. Quoiqu’il en soit, une possible révision du schéma planifié jusqu’à aujourd’hui pour l’ouverture des Jeux ne saurait être exclue.

L’institution olympique a également dû percevoir les critiques portées à l’endroit de la RATP et des syndicats concernant la grève sur une partie des axes du Réseau Express Régional (RER). Cette perturbation a – contrairement aux déclarations des acteurs concernés – eu une incidence sur le déroulement des événements, avec notamment un afflux massif de spectateurs sur certaines sorties, des spectateurs pas forcément au fait des us et coutumes des transports français…

En prévision des Jeux de 2024, organisateurs et pouvoirs publics devront pourtant réussir à mettre autour de la table les entreprises de transport en commun et les syndicats qui – aussi paradoxal que cela puissent paraître – ont pris l’habitude de soutenir la venue de grands événements, pourvoyeurs de retombées économiques et sociales importantes. Pour Paris 2024, les syndicats sont ainsi associés au projet depuis la phase de candidature, au travers d’une Charte Sociale signée en mars 2017.

Cette entente ne doit toutefois pas faire oublier qu’une étincelle est toujours susceptible de lourdement impacter le dispositif prévu.

En ce sens, le CIO doit garder en souvenir la crainte exprimée au milieu des années 2000, lorsque Paris fut candidate à l’organisation des JO 2012. La candidature elle-même avait affichée sa peur de voir se dérouler des manifestations sociales d’ampleur au jour de la visite de la Commission d’évaluation dans la capitale. Des négociations avaient alors eu lieu pour convenir de parcours militants en dehors des axes de visite des inspecteurs olympiques.

Aujourd’hui, malgré les années écoulées, ni la RATP, ni la SNCF n’ont les clés pour éviter un mouvement susceptible d’affaiblir l’organisation de grands événements. Le silence relatif des deux entreprises montrent en tout cas l’embarras dans lequel elles se trouvent toutes deux.

Signature de la Charte Sociale de Paris 2024, durant la phase de candidature aux Jeux (Crédits – Paris 2024)

Les responsabilités partagées de ce qu’il convient de considérer comme un fiasco et même une honte pour la France, doivent être confrontées sans aucune ambiguïté.

Les semaines à venir devraient d’ailleurs maintenir une forte pression sur les autorités compétentes, mais également sur les organisateurs des Jeux de 2024.

Dès ce mercredi, la nouvelle Ministre des Sports et des Jeux, Amélie Oudéa-Castéra, et le Ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, seront d’ailleurs auditionnés au Sénat, Chambre haute du Parlement français. Un signe parmi d’autres de la prise en considération des événements de ce week-end.

Ne nous y trompons pas néanmoins : au-delà de ces auditions, les acteurs parlementaires et, plus globalement, politiques, vont eux-aussi chercher à tirer leur épingle du jeu de cette situation. L’opposition au Président de la République a ainsi déjà développé son argumentaire à quelques jours du premier tour des Législatives 2022 et ce, en faisant aussi preuve d’une méconnaissance parfois profonde des enjeux sportifs et extra-sportifs.

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