Au cours de sa venue au Japon, pour assister à l’ouverture des Jeux de Tokyo 2020, le Président de la République, Emmanuel Macron, avait évoqué la perspective d’organiser la Cérémonie d’ouverture des Jeux de Paris 2024 sur la Seine. Si l’idée peut paraître séduisante sur le papier, plusieurs défis restent à surmonter, et non des moindres.

A l’instar de ce que les Argentins ont pu produire à l’occasion des Jeux Olympiques de la Jeunesse (JOJ) de Buenos Aires 2018, le Comité d’Organisation (COJO) de Paris 2024 ambitionne lui-aussi de faire sortir les Jeux en dehors du stade et de réaliser une ouverture en plein cœur de ville, avec une scénographie ayant pour cadre, la Seine et ses berges.
En 2018, la capitale de l’Argentine avait révolutionné le modèle olympique en proposant à l’époque, la première Cérémonie d’ouverture de l’histoire à l’extérieur d’une enceinte sportive traditionnelle.
Cette année-là, les habitants et les spectateurs internationaux avaient afflué en masse autour de l’Obélisque et le long de l’Avenido 9 de Julio. Plus de 215 000 personnes avaient alors été recensées pour encourager les 4 000 athlètes des JOJ sur ce qui constitue la plus large avenue au monde.
Avant Buenos Aires, Turin (Italie) s’était essayée à l’expérience, mais uniquement au niveau des Jeux Paralympiques d’hiver de 2006 et seulement en se limitant à la Cérémonie de clôture qui représente une logistique moindre pour les organisateurs.
Il y a 15 ans, la cité du Piémont italien avait ainsi convié le monde une dernière fois lors de festivités tenues sur la Piazza Castello et ce, après le déroulement de la Cérémonie d’ouverture orchestrée au sein du Stade Olympique.
Pour Paris 2024, l’enjeu est colossal et les défis à surmonter s’annoncent bien plus complexes que pour les deux événements pré-cités.
En effet, la Cérémonie d’ouverture concernera ici les Jeux Olympiques d’été, autrement dit, une manifestation avec un flux de spectateurs et d’athlètes, et un intérêt médiatique plus conséquents que pour la célébration des JOJ ou des Jeux Paralympiques d’hiver.
Aussi, au moins quatre challenges majeurs vont immanquablement se poser aux organisateurs des Jeux de 2024 si d’aventure le projet de Cérémonie en dehors du Stade de France est pleinement validé d’ici la fin de l’année en cours.

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La scénographie de l’événement
En misant sur une célébration le long de la Seine et des berges du fleuve, Paris 2024 entend émerveiller le monde, avec un parcours jalonné des plus beaux monuments de la “Ville Lumière” et un partage de photographies et de vidéos qui pourrait être sans précédent sur les réseaux sociaux.
Néanmoins, avec l’idée de mobiliser 200 barges pour le défilé des athlètes, entre le secteur de la Bibliothèque Nationale François Mitterrand (13ème arrondissement) et le Pont d’Iéna, entre la Tour Eiffel et les Jardins du Trocadéro, comme cela a été exposé ce week-end dans les colonnes du quotidien “L’Équipe”, les organisateurs seront amenés à étudier dans les moindres détails les questions techniques.
En effet, il conviendra de déterminer au plus vite la faisabilité d’une telle scénographie sur un fleuve urbain, enjambé par pas moins d’une vingtaine de ponts et passerelles, entre le Pont de Bercy et le Pont d’Iéna distants de près de 8 kilomètres. Si les bateaux-mouches réalisent à longueur de journée ce parcours, la mobilisation de plusieurs dizaines de barges dans un enchaînement millimétré pourrait se transformer en casse-tête et représenter une certaine prouesse logistique, d’autant plus en considérant de possibles aléas techniques sur un parcours aussi long.
Outre le défilé des athlètes sur la Seine, l’aspect logistique concernera aussi l’installation des officiels et du grand public le long des berges, sachant que les organisateurs tableraient entre 200 000 et 500 000 spectateurs.
La mise en scène à instaurer – ou ce que d’autres nomment le récit – devra également tenir compte des spécificités de la Seine, cadre sinueux et en perpétuel mouvement ainsi que les contraintes posées par les rives historiques classées au Patrimoine Mondial de l’Humanité par l’UNESCO et ce, même si l’ensemble offre des possibilités décuplées par rapport à un stade.
Le Comité d’Organisation devra par ailleurs veiller à ne pas reproduire les erreurs du passé concernant la dynamique à insuffler à l’événement. Un exemple en particulier peut ici être relevé.
Le 09 juin 1998, le Défilé des Géants, organisé à Paris à la veille du match d’ouverture de la Coupe du Monde de Football, avait conduit à la déambulation de quatre géants articulés sur les avenues parisiennes pendant deux heures, avec le concours de 5 000 figurants et bénévoles. In fine, les quatre structures d’une vingtaine de mètres de hauteur pour un poids avoisinant les quarante tonnes, avaient péniblement réussi à atteindre la scène centrale alors installée autour de l’Obélisque de la Concorde surmonté d’une immense sphère. Certes, plus de 200 000 personnes avaient assisté à cette procession inédite dans Paris, mais la lenteur du cortège avait davantage fait la Une de la presse le lendemain et les jours suivants.

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La sécurité des athlètes, des spectateurs et des officiels
Au-delà de la problématique de la scénographie, la question d’une Cérémonie d’ouverture en cœur de ville, de surcroît sur et autour d’un fleuve, interroge aussi quant aux conditions de sécurité.
Pour un Stade Olympique, par nature cloisonné, avec en plus une jauge pré-définie qui, pour le Stade de France, porte sur un maximum d’environ 80 000 places, la question de la sécurité est connue et maîtrisée. L’entrée dans l’enceinte sportive se fait ainsi au moyen d’un système de billetterie contrôlé par des agents de sécurité. Les abords du terrain sont aussi surveillés par des agents et des caméras de surveillance discrètement disséminées. La sortie du stade ne déroge pas à cette règle, avec des espaces dédiés et des flux de spectateurs en partance de l’équipement là-encore contrôlés pour éviter des mouvements de foule et autres incidents.
Pour une célébration le long de la Seine, la mobilisation de quelques centaines d’agents ne pourrait évidemment pas être suffisante pour permettre la venue et le départ de plus de 200 000 spectateurs dans des conditions optimales – sans compter la présence attendue de la centaine de membres du Comité International Olympique (CIO), de centaines de représentants de Fédérations Internationales (FI) et de dizaines de dirigeants internationaux – ne serait-ce qu’en ce qui concerne l’aspect de l’accessibilité à des tribunes démontables.
Ces dernières devront d’ailleurs répondre à toutes les exigences de stabilité et de confort pour accueillir un nombre conséquent de personnes, même si l’on peut aisément imaginer qu’une part non-négligeable du public se trouvera en dehors des tribunes, le long des quais hauts de la Seine.
En outre, pour compléter l’intervention des personnels de la Police Nationale, de la Gendarmerie et des agents de sécurité privés aux abords du fleuve, et dans un contexte où le terrorisme de portée internationale demeurera malheureusement bien présent, la mobilisation de personnels complémentaires de l’armée sera certainement à l’ordre du jour. Cette question sera d’autant plus évidente en considérant que les délégations étrangères – parmi lesquelles celles des États-Unis et de la Chine – sont habituellement particulièrement vigilantes lorsqu’il s’agit de préserver la sécurité de leurs athlètes et de leurs ressortissants.
Pour reprendre l’exemple du Défilé des Géants du Mondial 1998, le quotidien “Le Parisien” s’était à l’époque fait l’écho du cadre de sécurité mis en place par les autorités.
Comme cela fut ainsi exposé :
Deux chiffres illustrent l’ampleur de la tâche.
D’abord celui des forces de police et de gendarmerie mobilisées pour protéger les parcours du défilé des quatre Géants et assurer les déviations de circulation nécessaires : pas moins de 6 000 hommes.
Ensuite, celui des barrières Vauban à installer le long du parcours : 12 000, soit près de 30 kilomètres.
Dans le cadre de sa candidature, mais sans faire mention de la Cérémonie d’ouverture de façon spécifique, Paris 2024 avait tablé sur des moyens humains conséquents, avec la mobilisation de 68 500 personnes pour la durée totale des Jeux, soit dans le détail, 35 000 représentants des forces de sécurité intérieure (Police nationale, Gendarmerie, Polices municipales), 10 000 militaires, 3 500 personnels de la sécurité civile (sapeurs-pompiers, secouristes, démineurs) et quelques 20 000 personnels d’entreprises privées de sécurité.
Pour la seule Cérémonie d’ouverture, un contingent massif de forces de sécurité devrait dès lors être mobilisé pour garantir la sûreté la plus forte possible sur un parcours double – rive droite et rive gauche – allant du 13ème au 7ème arrondissement de la capitale.
Bien sûr, le cadre des festivités pourra être restreint à une portion de la Seine afin de limiter les besoins en personnels de sécurité, publics et privés, tandis que le nombre d’athlètes pourra sûrement être en deçà du global de 10 500 participants, certains préférant se préserver pour les épreuves prévus au lendemain de la soirée inaugurale.
Il n’empêche, sauf à imaginer une interdiction des badauds le long du parcours “non-officiel”, les dizaines de barges appelées à transporter les athlètes, et qui constitueront des cibles potentielles pour une action violente, devront être suivies d’une escorte policière renforcée sur l’ensemble de la balade jusqu’au point de destination finale, près de la Tour Eiffel.

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Les contraintes d’une diffusion télévisée aux multiples points d’ancrage
Autre problématique, et non des moindres lorsqu’il s’agit d’aborder l’ouverture des Jeux Olympiques : la diffusion en mondovision de l’événement et la qualité de cette diffusion.
Habituellement, la retransmission de la Cérémonie d’ouverture perçue par plusieurs milliards de téléspectateurs à travers la planète, se focalise sur un cadre relativement restreint, à savoir le terrain du Stade Olympique, avec des prises de vue depuis les tribunes ou dans les airs via des drones ou des hélicoptères.
Dans le cas d’un déroulement de ladite Cérémonie le long de la Seine, le terrain à couvrir serait bien plus vaste et les diffuseurs devraient en conséquence redoubler d’efforts – et sans doute de moyens financiers – pour assurer un suivi des différentes actions de l’événement et une retranscription la plus complète possible du récit proposé par les organisateurs et rêvé par les téléspectateurs.
De fait, dans l’optique d’une Cérémonie sur la Seine, et même si les images s’annoncent extraordinaires dans un environnement tel que Paris, un fil conducteur cohérent devra tout de même être maintenu pendant les trois heures de festivités.
Là encore, les événements passés – en France et ailleurs dans le monde – devront être étudiés afin d’écarter les écueils de la diffusion d’un événement de grande ampleur dans une zone urbaine dense avec les contraintes de circulation et de visibilité qui vont avec.

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Le coût des Cérémonies dans un contexte attendu de sobriété budgétaire
Les différents éléments pré-cités constituent autant de défis pour les organisateurs amenés par ailleurs à maîtriser le coût des Cérémonies qui, en comptant les Jeux Olympiques et les Jeux Paralympiques, sont au nombre de quatre.
Or, chaque édition des Jeux diffère en ce qui concerne l’investissement déboursé par le Comité d’Organisation. Ainsi, Londres 2012 aurait dépensé la coquette somme de 130 millions de dollars pour mettre en forme et réaliser les quatre Cérémonies olympiques et paralympiques, alors que Rio 2016 aurait limité les frais à 20 millions de dollars pour ses seules Cérémonies olympiques.
Pour Paris 2024, le Comité de Candidature n’avait pas avancé de données chiffrées en 2016-2017, les Cérémonies étant alors mentionnées dans une thématique englobant également la Culture (identité visuelle des Jeux, communication, etc.) pour un budget général estimé à 166,869 millions de dollars (valeur 2016).
Aussi, en prenant une partie de ce budget prévisionnel et en actant le déplacement de la Cérémonie d’ouverture en plein centre de Paris, les dépenses consacrées connaîtraient une inévitable inflation dont la maîtrise constituerait un challenge à part entière pour les organisateurs.
En outre, en ouvrant le site de la soirée inaugurale au plus grand nombre, les organisateurs se priveraient de recettes de billetterie importantes, sauf à envisager un accès payant pour tout ou partie des spectateurs, en fonction du placement en tribunes ou dans une zone debout.
Pour preuve de cet éventuel manque à gagner, Paris 2024 avait projeté, durant la phase de candidature, des recettes de billetterie issues des Cérémonies olympiques d’ouverture et de clôture de l’ordre de 162 millions de dollars (valeur 2016), dont 98,323 millions pour la seule soirée d’ouverture.
Cette projection fut réalisée à l’époque sur la base de billets accessibles dès 27 dollars, avec néanmoins un tarif moyen de 1 471 dollars.
Concernant les Jeux Paralympiques, les recettes attendues des Cérémonies avaient été estimées bien en deçà de celles des Jeux Olympiques, avec une billetterie de 48,43 millions de dollars, dont 30,437 millions pour la Cérémonie d’ouverture et un prix moyen de 455 dollars par ticket d’entrée.

Au cours des prochains mois, le COJO et l’ensemble des parties au projet – l’État, la Région Île-de-France, la Ville de Paris, le Département de la Seine-Saint-Denis et les autres Collectivités associées – vont poursuivre leurs échanges afin d’aboutir à un concept des Cérémonies en adéquation avec la volonté d’offrir un cadre repensé pour les athlètes et le public, mais dans un schéma parfaitement maîtrisé et sécurisé sous les conseils d’experts.
Le positionnement des élus de la Seine-Saint-Denis sera à ce sujet intéressant à suivre, ces derniers étant montés au créneau à plusieurs reprises depuis l’attribution des Jeux, en septembre 2017, dans le but de défendre les intérêts de leur territoire. Aussi, la tenue de la Cérémonie d’ouverture des Jeux en dehors du Stade de France, et donc de la Seine-Saint-Denis, pourrait représenter une pierre d’achoppement entre les parties.
Pour Paris 2024, il conviendra évidemment d’inclure dans les discussions, le CIO qui, depuis Buenos Aires 2018, n’a pas connu de Cérémonies olympiques en dehors des stades, ainsi que les diffuseurs et les partenaires. Selon toute vraisemblance, le concept devrait in fine être arrêté pour le dernier Conseil d’administration du COJO de l’année programmé au 13 décembre 2021.
Ambitieux et audacieux, le choix tricolore pourrait par la suite guider de futurs hôtes des Jeux, sachant que Los Angeles 2028 planifie déjà une célébration inédite entre deux stades iconiques, que sont le Memorial Coliseum et le SoFi Stadium.
Comme cela fut annoncé dès la phase de candidature, et si la planification n’évolue pas dans les sept ans à venir, la Cérémonie d’ouverture se déroulerait alors dans le cadre mythique du Coliseum – écrin des JO 1932 et 1984 -, avant une procession dans les rues de Los Angeles pour rejoindre le flamboyant SoFi Stadium à Hollywood Park, nouveau quartier situé à Inglewood.
Au-delà de la marche nocturne annoncée, les Cérémonies de Los Angeles 2028 promettent surtout une utilisation massive des nouvelles technologies, parmi lesquelles la réalité virtuelle, pour une mise en scène à la hauteur du savoir-faire américain.
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