Hidalgo, Hanotin, Troussel, un triumvirat politique dans l’arène des Jeux de Paris 2024

A mesure que les préparatifs d’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques de Paris 2024 avancent, force est de constater que le politique reprend le pas sur le sportif avec les intérêts qui vont avec. Les résultats des élections municipales du 28 juin dernier en sont d’ailleurs une éclatante démonstration.

Anne Hidalgo (au centre), Maire de Paris et Présidente de la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques ; Mathieu Hanotin (à la droite de la Maire de Paris), Maire de Saint-Denis et Président de l’Établissement Public Territorial de Plaine Commune ; et Stéphane Troussel (au premier plan), Président du Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis, constituent un triumvirat d’acteurs politiques qui vont peser dans les décisions à venir autour du projet de Paris 2024 (Crédits – Stéphane Troussel / Page officielle Twitter)

Tout au long de la phase de candidature de Paris 2024, la Maire socialiste de la Ville Lumière n’a eu de cesse de vanter le mérite d’un projet faisant la liaison entre Paris et un territoire longtemps ignoré et délaissé des politiques publiques, la Seine-Saint-Denis.

En janvier 2017, sous le plafond de la Salle des Fêtes de l’Hôtel de Ville, Anne Hidalgo avait d’ailleurs martelé ce message lors de ses vœux :

Nous avons besoin de cette candidature, car elle constitue une opportunité pour notre jeunesse, pour nos quartiers et pour la Seine-Saint-Denis. La candidature aux Jeux Olympiques et Paralympiques va générer des progrès urbains et va mobiliser les startups. Les valeurs de l’Olympisme sont en adéquation avec les valeurs de Paris.

Quelques mois auparavant, la promesse de cette union sacrée entre les deux territoires s’était illustrée par la signature d’une Convention de rapprochement avec des actions et des initiatives à mener de part et d’autre du boulevard périphérique.

Aujourd’hui, la perspective d’accueil des Jeux renforce encore davantage l’idée de bâtir un héritage durable entre les territoires appelés à recevoir les compétitions olympiques et paralympiques. Pour la Maire de Paris, des actions urbaines concrètes pourront permettre de tisser un lien avec la Seine-Saint-Denis en gommant autant que possible les aspérités actuelles du point de vue territorial bien sûr, mais aussi social.

Ce sera ainsi le cas avec la construction de l’Aréna de la Porte de la Chapelle et avec la requalification urbaine de l’ensemble de ce quartier du 18e arrondissement à la lisière avec le département voisin. Au-delà de la seule Seine-Saint-Denis, la volonté d’effacer les barrières actuelles avec les autres communes pourrait aussi passer par de premiers aménagements urbains et paysagers sur l’emprise du périphérique et par la transformation des Portes de Paris en Places du Grand Paris.

Visuel de l’Aréna de la Porte de la Chapelle (Crédits – SCAU / NP2F)

Sur ce point, Anne Hidalgo n’a pas manqué de saluer la récente réélection de Patrick Ollier à la tête de la Métropole du Grand Paris. Car bien que faisant partie de deux formations politiques opposées sur le plan national, les deux leaders ont su nouer une relation de confiance et d’estime au cours des dernières années, une relation utile pour permettre la mise en œuvre des engagements électoraux de la Maire de Paris et le bon déroulement de certains chantiers comme celui de la ZAC Plaine Saulnier, où doit être construit le Centre Aquatique Olympique et, à plus longue échéance, un écoquartier doté de logements, d’espaces verts, de bureaux et de zones récréatives.

Mais plus encore qu’avec la Métropole, c’est bien avec la Seine-Saint-Denis que la Maire de la capitale entend pérenniser une relation de travail dans la perspective des Jeux et même au-delà.

Aussi, l’arrivée aux commandes de la Ville de Saint-Denis de l’ancien député socialiste Matthieu Hanotin, victorieux face au Maire communiste sortant Laurent Russier, a constitué un parfait alignement des planètes pour envisager in fine une consolidation des liens entre les deux communes. Cet alignement des planètes s’est même confirmé avec l’élection du Maire de Saint-Denis à la présidence de l’Établissement Public Territorial de Plaine Commune, jusqu’alors dirigé par le communiste Patrick Braouezec, et qui est l’une des instances majeures pour les aménagements à venir en Seine-Saint-Denis en vue des JO 2024.

(Crédits – Mathieu Hanotin / Page officielle Facebook)

Désormais, au regard des divers succès électoraux pré-mentionnés, le politique va pouvoir peser davantage face au Comité d’Organisation des Jeux (COJO) – quelque peu isolé – dans les décisions qui devront être prises au cours des quatre prochaines années. Les arbitrages relatifs à la revue de projet, qui doit intervenir avant fin 2020, en seront d’ailleurs une illustration.

Nul doute que la Maire de Paris, par ailleurs Présidente de la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques (SOLIDEO), Anne Hidalgo, et que le Maire de Saint-Denis – et donc nouveau Président de Plaine Commune – tâcheront de préserver l’identité du projet de partage et d’héritage des Jeux de 2024 à destination de la Seine-Saint-Denis et ce, même si le maintien d’épreuves dans le cluster de Dugny – Le Bourget apparaît plus que jamais fragilisé.

Sur ce point, la récente interview de la Maire de Paris dans les colonnes du quotidien “Le Parisien” donne une subtile indication des échanges prochains pour délimiter les contours définitifs du projet olympique et paralympique. Comme elle l’a ainsi affirmé :

Nous aurons très vite des réunions avec Michel Cadot, le nouveau Délégué Interministériel, Tony Estanguet, la Région, la Métropole et la Seine-Saint-Denis.

Deux choses me paraissent très importantes : ne pas revoir à la baisse l’ambition environnementale, ni les équipements pérennes prévus en Seine-Saint-Denis.

Visuel du Centre Aquatique Olympique avec en avant, la passerelle de franchissement de l’autoroute A1 en direction du Stade de France (Crédits – Architectes: VenhoevenCS + Ateliers 2/3/4/ Image: Proloog)

Sur le premier élément mentionné, la rencontre au sommet entre le Président de la République, Emmanuel Macron et le Président du Comité International Olympique (CIO), Thomas Bach, a permis de rappeler l’engagement de durabilité du projet. L’enclenchement des travaux sur le terrain plaide également en faveur de l’ambition environnementale de Paris 2024 avec des chantiers écoresponsables dans le choix des matériaux et avec l’utilisation des voies fluviales pour le déblaiement des espaces et le transport desdits matériaux de construction.

Sur le second élément évoqué par Anne Hidalgo, la Maire de Paris précise bien la notion de pérennité concernant les équipements annoncés pour la Seine-Saint-Denis. Or, les épreuves de volleyball et de tir envisagées jusqu’à présent dans le cluster de Dugny – Le Bourget doivent prendre place au sein d’équipements temporaires, à l’inverse des structures prévues du côté de Saint-Denis, à commencer par le Centre Aquatique Olympique (CAO) de 6 000 places destiné à abriter le water-polo, la natation synchronisée et le plongeon au moment des Jeux Olympiques, puis la boccia au moment des Jeux Paralympiques.

Reste évidemment la question du Stade Aquatique de 15 000 places qui doit être édifié de manière temporaire à proximité immédiate du CAO dans le but d’accueillir les épreuves de natation.

Si son aménagement à Saint-Denis renforcerait immanquablement la dimension de pôle olympique et paralympique sur la ville-centre du département, son démantèlement post-JO serait en revanche bénéfique à d’autres villes de Seine-Saint-Denis avec la relocalisation prévue des bassins. Aussi, même si le Stade Aquatique venait à être changé de place par rapport aux plans initiaux, les élus locaux veilleront certainement à ce que des aménagements de bassins soient sanctuarisés sur le département qui, au moment de la candidature de Paris 2024, avait souligné la carence de telles infrastructures pour l’apprentissage de la natation.

Visuel du nouveau dispositif pour le cluster de Dugny – Le Bourget, avec le stade de volleyball et le centre de tir, au-dessus du Centre et du Village des Médias (Crédits – Paris 2024 / Luxigon)

Cette notion d’héritage sera de fait au cœur des négociations entre les différents acteurs du projet – COJO, Ville de Paris, Département de la Seine-Saint-Denis, Région Île-de-France, État, etc. – avec l’intervention attendue d’une autre figure politique saint-dionysienne, à savoir Stéphane Troussel.

Lui aussi élu socialiste, le Président du Conseil Départemental s’invite de temps à autre dans les médias locaux et nationaux pour rappeler sa volonté d’assurer autant que possible la préservation du dispositif des Jeux tel que prévu pour la Seine-Saint-Denis, avec en particulier la recherche d’une certaine homogénéité entre les territoires du département. De fait, si l’on peut penser que les épreuves sportives de Dugny – Le Bourget changeront d’emplacements, la ligne rouge à ne pas franchir serait celle d’une suppression du Village des Médias envisagé sur ce même secteur, mais menacé aujourd’hui en raison des retards dans la livraison des lignes 16 et 17 du Grand Paris Express.

En gommant le projet de Village des Médias – certes non-indispensable dans le cahier des charges des Jeux fixé par le CIO mais parfois prévu par les Villes Hôtes de l’événement – le déséquilibrage territorial serait évident, Saint-Denis devenant dès lors l’unique tête d’affiche des Jeux sur le département. Surtout, cela reviendrait à écarter purement et simplement la promesse de 1 300 logements pérennes pour les habitants de Seine-Saint-Denis.

Patrick Ollier, Président de la Métropole du Grand Paris ; Anne Hidalgo, Maire de Paris ; et Stéphane Troussel, Président du Conseil Départemental de Seine-Saint-Denis, le 09 juin 2020 à l’occasion du lancement de l’opération d’aménagement du Centre Aquatique Olympique à Saint-Denis (Crédits – Métropole du Grand Paris)

Le triumvirat politique incarné par Anne Hidalgo, Mathieu Hanotin et Stéphane Troussel pourrait en tout cas donner des sueurs froides aux équipes du COJO – présidé par Tony Estanguet avec l’appui, notamment, d’Étienne Thobois – qui sont engagées dans une révision minutieuse du projet afin de dégager des marges de manœuvre financières compte-tenu du contexte lié à la crise sanitaire du Covid-19 et à ses répercussions économiques.

Avec des intérêts similaires, ces trois personnalités démontrent le retour en force du politique dans les préparatifs d’organisation des Jeux. Au moment de la candidature, cette présence avait pourtant su être temporisée par Tony Estanguet, même si des tensions étaient parfois apparues entre le COJO et les services de la Ville de Paris.

Aujourd’hui, toutes les parties prenantes au projet sont entrées dans une phase concrète et opérationnelle où chacun va veiller à sécuriser ses propres parcelles et ses intérêts ainsi que ceux de ses alliés politiques.

Deux échéances électorales seront d’ailleurs à scruter dans les mois qui viennent, avec les élections départementales où la majorité actuelle tâchera de conserver les clés de la Seine-Saint-Denis, et les élections régionales pour lesquelles la Gauche tentera de ravir la présidence de l’Île-de-France à Valérie Pécresse élue en décembre 2015.