Diplômé en Sciences Politiques et licencié en Droit, Armand de Rendinger est un observateur avisé du Mouvement olympique depuis plusieurs années. Chargé de la promotion de la candidature d’Albertville 1992 puis directeur des relations internationales de Paris 2012, Armand de Rendinger a également conseillé une dizaine de candidatures à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques.
Aujourd’hui consultant international indépendant dans le domaine sportif, Armand de Rendinger a accepté de répondre aux questions de “Sport & Société” concernant le Mouvement olympique ainsi que les échéances à venir, en particulier pour la France et la probable candidature de Paris 2024.
– Observateur du Mouvement olympique depuis plusieurs années, vous avez notamment pu constater les discussions entourant l’Agenda 2020 puis l’adoption de ce dernier, début décembre à Monaco.
Sans grandes nouveautés, sur la gouvernance olympique entre autre, cette feuille de route stratégique s’apparente davantage à de bonnes intentions.
Quel regard portez-vous sur cet Agenda 2020, en particulier en ce qui concerne le volet dédié au processus des candidatures aux Jeux ?
Effectivement, la feuille de route stratégique contenue dans l’Agenda 2020 est un catalogue consolidant beaucoup de bonnes intentions. Cependant, reconnaissons au nouveau Président du Comité International Olympique (CIO), Thomas Bach, d’avoir su avec efficacité, en moins de 18 mois, faire travailler les membres de cette institution et faire adopter à l’unanimité les 40 recommandations proposées. Celles-ci devaient répondre à 3 objectifs majeurs :
- Réduction des coûts des Jeux (candidature et organisation) et faciliter la multiplicité et la diversité de candidatures,
- Développement de l’image et des valeurs olympiques auprès de la jeunesse de manière permanente et durant toute une Olympiade,
- Renforcement des principes de bonne gouvernance et l’éthique et leur adaptation aux nouvelles exigences.
A peine les recommandations adoptées que déjà, au CIO notamment, certaines voix se lèvent pour expliquer qu’à l’instar de ce qui s’est passé après la Session de Prague en août 2003 (100 mesures pour limiter la course au gigantisme des JO), le plus dur reste à faire : transformer ces intentions en mesures concrètes et réalisables à court terme.
Concernant le volet particulier des modifications relatives à la procédure de candidature aux Jeux, on peut considérer qu’en partie, “la montagne promise a accouché d’une souris” ! Les nouvelles procédures proposées permettent toutes les interprétations (pour preuve : les déclarations multiples, contrastées, pour ne pas dire contradictoires, de leaders de différentes candidatures aux Jeux déclarées ou non sur ce sujet). Les modifications annoncées par le CIO voulaient a priori atteindre 3 objectifs primordiaux :
- Permettre la possibilité à nombre de pays de présenter leur candidature aux Jeux, en leur permettant de proposer une offre adaptée à leurs contraintes et à leur environnement (vital pour l’image et la pérennité du CIO : plus il a de pays intéressés et de candidatures, plus l’Olympisme sera “attractif”, tant aux plans économiques que politiques). Les mesures proposées semblent contribuer à l’atteinte de ce premier objectif, tout au moins à court terme.
- Réduire les coûts engendrés et inhérents à toute candidature. Les mesures en la matière sont bien minces, tant le coût d’une candidature, notamment en matière de promotion, est fonction tant de la concurrence que des moyens budgétés ou non, officiels ou non, dont les pays décideront de se doter… pour obtenir les JO. Au stade actuel tout contrôle budgétaire est impossible, ce qui fausse obligatoirement la concurrence (on peut toujours rêver : par le passé, ce n’est pas forcément le mieux doté ou le plus riche qui a obtenu les Jeux) !
- Rendre moins opaque le processus d’attribution des Jeux par le CIO, en particulier lors du vote final. Aucune mesure concrète en la matière. La suspicion, justifiée ou non, subsistera toujours, le vote étant secret (ce qui peut se comprendre). Dommage que le CIO ait maintenu la règle d’interdiction de visites des membres du CIO des Villes Candidates aux Jeux. Ceci signifierait donc que le CIO et sa Commission d’éthique n’ont pas confiance en ses membres et ternit, vis-à-vis du grand public, en conséquence sa propre image. Par ailleurs, les membres du CIO, dans leur diversité, n’ont pas besoin de règles dictées, pour continuer ou non à visiter “à titre personnel et à leur seule initiative”, des pays et des villes ou pour croiser dans leur propre pays et dans leurs différents voyages des émissaires déclarés ou non de Villes Candidates et / ou destinées à le devenir. Dans cette ère nouvelle, constatée par le Président Bach, plus de confiance en les membres de son institution et de respect de la réalité, aurait peut-être, été un pas important dans la qualité et la transparence du processus d’attribution des JO.
Sans doute, sur ce troisième volet, cette évolution souhaitable se fera progressivement. En attendant pour 2024, les caractéristiques de l’environnement olympique, la nature des compétences et du savoir-faire nécessaires et les contraintes à respecter restent quasiment les mêmes que celles d’avant la Session de Monaco, avec ou sans Agenda 2020… pour toutes les candidatures qui souhaitent gagner un jour les Jeux et ne pas se limiter à une simple action de témoignage, de présence ou de promotion “touristique”. Aussi est-il bien hasardeux d’annoncer et de faire croise à son pays, au stade actuel et sans savoir ce que seront les moyens budgétés par la concurrence, qu’il est possible de proposer une candidature potentiellement gagnante avec des budgets limités à 50-60 millions d’euros, comme on peut déjà l’entendre de la part de quelques responsables parisiens. Comme il est tout aussi hasardeux de dire que la promotion d’une candidature pourrait se faire sans le concours d’argent public.
– Outre cette réforme à minima, le CIO a dû faire face aux désistements de plusieurs villes qui se sont heurtées à une opposition populaire dans la course aux JO d’hiver de 2022 : St-Moritz (Suisse), Munich (Allemagne), Cracovie (Pologne), Oslo (Norvège). Stockholm (Suède) s’est retirée suite au refus des élus locaux de soutenir le projet, tandis que Lviv (Ukraine) a quitté la course en raison du contexte géopolitique régional.
N’est-ce pas le signe d’un affaiblissement des Jeux d’hiver, au moins sur le moyen terme ?
Non. A mon avis, ces nombreux désistements pour ce type de Jeux, ne sont pas liés au seul phénomène de désintérêt pour les seuls Jeux d’hiver. Ils sont autant liés à la crise économique, à l’image d’un CIO n’arrivant pas à s’imposer des règles pour juguler l’inflation des coûts, la perception de gigantisme des Jeux de Pékin et de Sotchi (sans reproche de la part du CIO) et enfin (surtout ?) au constat irréfutable que font les dirigeants politiques des pays susceptibles d’être candidats qu’il n’est plus possible d’envisager de vouloir des Jeux sans soutien populaire et ce, en toute transparence des devoirs et des coûts engendrés.
Par ailleurs, les Jeux d’hiver, pour des pays aptes à les organiser, peuvent servir de “monnaie d’échange” dans le développement des alliances stratégiques lors de décision d’attribution ultérieure d’événements sportifs, olympiques ou non.
Les Jeux d’hiver ont donc a priori encore des atouts pour intéresser les pays ayant une configuration géographique adaptée et des pays émergents à potentiel économique et disposant d’un marché de nouveaux consommateurs intéressants pour le Mouvement olympique.
Dans le nouveau contexte issu de l’Agenda 2020, on pourrait assister à une recrudescence de candidatures aux Jeux, tout au moins jusqu’à la phase d’invitation nouvellement créée par le CIO. Par la suite, le nombre de candidatures se maintenant dépendra essentiellement de la crédibilité du CIO dans la mise en place de ses réformes. Cela représentera le nouveau challenge de Thomas Bach. Il en est à coup sûr parfaitement conscient et vu son implication, il a toutes les qualités pour faire imposer à ses membres l’obligation de veiller à cette crédibilité.
– In fine, seules deux prétendantes demeurent dans la compétition pour 2022 : Pékin (Chine) et Almaty (Kazakhstan), deux villes et deux nations émergentes sur la scène des sports d’hiver.
Cela ne constitue-t-il pas un risque pour le CIO, après les dérapages financiers et environnementaux de Sotchi 2014 ?
Effectivement. C’est un risque certain, si l’Agenda 2020 ne se traduit pas rapidement par la mise en place des mesures promises. En la matière, les 4 prochaines années seront déterminantes avec notamment la préparation des candidatures pour les Jeux 2024, 2026 et 2028. Des pays étrangers sont déjà dans cette disposition d’esprit et commencent à anticiper et à élaborer des stratégies propres à ces différentes échéances.
Dans ce domaine, il est intéressant d’observer comment certains pays n’hésitent pas à se projeter sur le long terme. Étonnant quand on ne peut que constater que rien n’est plus incertain que le résultat de certains votes à court terme et l’importance du renouvellement des membres au sein du CIO. Il faut dire que, compte tenu du poids et de la portée des JO pour un pays, la dimension politique, contrairement à ce qu’affirment certains caciques du CIO, prend de plus en plus le pas sur le cadre sportif, lorsqu’il s’agit d’être candidat ou pas. Ce constat, toutefois, ne remet en rien la question de la gouvernance sportive obligatoire pour diriger et promouvoir une candidature.
– La Chine promet de développer et de promouvoir les sports d’hiver pour 300 millions de personnes, tandis qu’Almaty ambitionne d’organiser les Jeux les plus compacts de ces trente dernières années.
Mais au-delà de ces promesses de campagne, que peut apporter, concrètement, l’accueil d’un événement comme les Jeux d’hiver, pour la Chine – déjà hôte des JO 2008 -, ou le Kazakhstan ?
Pour Pékin, c’est la confirmation que la “grande” Chine est réellement devenue un “partenaire” fidèle, pérenne et incontournable du CIO et du Mouvement olympique. D’autre part, Pékin veut démontrer qu’elle peut organiser, en tant que capitale, des “superbes” Jeux d’hiver en dissociant de façon intelligente et innovante, les sports de glace et les sports de montagne.
Pour Almaty, c’est la démonstration qu’un “petit” pays émergent, nouveau (et riche), tel que le Kazakhstan, sait accueillir, avec des infrastructures de qualité, des Jeux d’hiver. Cela concourt à l’universalité de la tenue des Jeux souhaitée par le CIO.
– L’Agenda 2020 demande aux villes désireuses d’accueillir les Jeux, d’intégrer dans leur projet, la notion de l’expérience des athlètes.
Quand on sait que l’aspect purement technique des candidatures n’est pas toujours pris en compte par les membres-électeurs de l’institution de Lausanne, est-il judicieux de dire qu’il s’agit d’une avancée et d’une reconnaissance du rôle et de l’importance des athlètes ?
Le CIO a toujours prôné le rôle incontournable des athlètes aux Jeux. Cependant, lors de leur attribution, ce critère n’a pas toujours été respecté et / ou considéré comme prioritaire ou premier. Cela évolue dans le bon sens avec les nouvelles générations des membres du CIO, mais elles sont encore loin de faire l’unanimité au sein de l’institution.
Aussi, le principe d’intégrer l’expérience des athlètes est-il indispensable. Cependant cette intégration se prépare et ne doit pas être qu’un simple élément de cosmétique. La France olympique a-t-elle fait par le passé cet effort pour intégrer intelligemment et efficacement ses athlètes ? Est-elle crédible sur ce sujet, en comparaison avec d’autres pays ? Un sondage auprès des athlètes apporterait sans doute la meilleure réponse et contribuerait à l’élaboration de mesures urgentes à prendre en la matière.
– Le 15 janvier, le CIO lancera la phase d’invitation aux villes soucieuses d’accueillir les Jeux d’été de 2024. L’Italie a fait part de son intérêt, de même que l’Allemagne et les États-Unis. La France doit également se dévoiler dans le courant du mois.
Selon vous, quelles sont les autres candidatures potentielles pour cette Olympiade ?
N’étant impliqué dans aucune candidature plus ou moins déclarée et souhaitant rester dans la position d’observateur permanent du Mouvement olympique, je peux dire sans me tromper que parmi les 205 Comités Nationaux Olympiques (CNO), nombreux sont ceux qui rêveraient d’organiser des Jeux ou des événements sportifs majeurs sur leur territoire. Peu, en proportion, en aurait la capacité. Cependant, contrairement à certaines idées reçues, nombre de pays réfléchissent, pour des raisons sportives ou extra-sportives, à une éventuelle candidature à des Jeux. L’Agenda 2020 pourrait les y encourager.
Concernant 2024 et / ou 2026 et / ou 2028 et / ou 2030, outre les pays que vous mentionnez, on peut citer notamment et pêle-mêle : la Turquie, l’Afrique du Sud, le Mexique, le Canada, le Qatar et certains pays européens, dont l’expérience est reconnue. Souvent pour certains pays, cela s’inscrit dans une perspective à long terme, combinée avec des réflexions sur des candidatures à des championnats mondiaux et continentaux pour certaines disciplines sportives.
– Le Comité Olympique des États-Unis (USOC) a engagé un long processus afin de sélectionner sa ville. Après avoir envoyé un courrier détaillé aux principales métropoles du pays, l’USOC a entrepris des discussions avancées avec une dizaine de villes, avant de se positionner sur une short-list de quatre cités : Boston (Massachusetts), Washington (District de Columbia), San Francisco (Californie) et Los Angeles (Californie).
Sur le fond, comme sur la forme, chacune de ces villes présentent des atouts intéressants de même que des faiblesses apparentes.
Qu’est-ce qui, selon vous, fera la différence lorsque l’USOC se positionnera sur le choix de la ville qui portera les couleurs américaines ?
L’USOC réfléchit depuis longtemps (pour ne pas dire toujours) à une candidature aux Jeux (été et / ou hiver). Pour 2024, elle se positionne pour vouloir gagner, et ce depuis l’échec de Chicago en 2009.
A mon avis, 3 critères devraient dominer dans le choix de l’USOC pour une ville (parmi les 4 encore en lice) : concentration des infrastructures, capacité financière pour une bonne organisation, image de la ville dans le “mindset” des membres du CIO.
– Après les échecs successifs de Paris 1992, Lille 2004, Paris 2008, Paris 2012 et Annecy 2018, le Mouvement sportif et olympique français s’apprête à présenter à nouveau un projet.
La question du lobbying a longtemps été un sujet tabou, on se souvient en particulier des propos tenus par Bertrand Delanoë concernant Tony Blair en juillet 2005.
En quoi l’arrivée de Bernard Lapasset dans le “dispositif” peut-elle permettre un changement d’attitude sinon de mentalité ?
Bernard Lapasset a pour lui, notamment d’avoir contribué fortement à l’arrivée du rugby à 7 aux Jeux, d’être Président d’une grande fédération sportive internationale (IRB), où les anglo-saxons sont particulièrement influents et de s’être imposé à la tête du Comité Français du Sport International (CFSI). Il connait à mon avis, ce qu’est le lobbying, ses vertus et ses risques. Est-il pour cela crédible et fait-il l’unanimité pour imposer à ses pairs les conditions indispensables de la pratique de ce qu’est véritablement le lobbying, sachant qu’en France, on a souvent l’habitude de confondre : bonnes relations avec les décideurs et capacité de les convaincre ?
Ayant vécu cela de multiples fois, je ne peux que confirmer ce que j’ai écrit dans mon dernier livre : le lobbying doit distinguer notamment 2 fonctions bien spécifiques (qui ne doivent pas être pratiquées par les mêmes personnes et qui exigent des profils différents) :
- La recherche de la parfaite et intime connaissance du décideur que l’on veut convaincre,
- La capacité, sur la base des informations collectées, de convaincre celui-ci de voter pour vous.
Bernard Lapasset est-il conscient que dans l’environnement français ce distinguo, pour de multiples raisons culturelles, n’est pas obligatoirement admis ? Je le crois, mais j’espère qu’il pourra à défaut de l’imposer, le faire valoir à ses pairs. Pour cela, il serait indispensable que les responsables à la tête de tout projet de candidature cessent de considérer que les certitudes se trouvent dans l’affirmation de leur propre statut et non dans la fonction qu’ils sont censés d’assumer.
– Outre la question du lobbying, le leadership de la candidature française sera un élément à prendre en considération, surtout si l’on regard en arrière avec les errements des précédentes candidatures (Annecy 2018…).
Selon vous, quel est le dispositif le mieux adapté à Paris, notamment en vue d’affronter des rivales internationales qui préparent cette échéance depuis longtemps ?
Si un consensus sportif et politique est indispensable, celui-ci ne doit pas obérer et lester la gouvernance et la capacité de décision rapide et acceptée au sein d’une candidature. Paris ou pas, la seule gouvernance possible doit se faire sous la forme d’un commando à structure pyramidale, avec à sa tête un Président (si possible issu du monde sportif ou accepté par celui-ci) impliqué à 200%, assisté d’un directeur général ayant les pleins pouvoirs sur toutes les commissions de travail (pérennes et ponctuelles).
Il va de soi que cet attelage, s’il ne connait pas intimement les membres du CIO et ce depuis longtemps, doit être assisté notamment, outre par les incontournables membres français du CIO, de quelques personnes pouvant leur servir de relais et travaillant hors de tout organigramme et d’ambition personnelle au sein de la candidature. Facile à dire, pas toujours évident dans le contexte politique français, adepte plus des usines à gaz que des structures adaptées aux Hommes (et non l’inverse).
– Lors des élections municipales de mars 2014, Anne Hidalgo s’était bien gardée de formuler un quelconque avis concernant l’éventualité d’une candidature olympique de Paris. Sur le siège de Maire de la capitale, Mme Hidalgo a régulièrement soufflé le chaud et le froid.
Peut-on affirmer qu’il s’agit d’une stratégie délibérée, pour obtenir des garanties – notamment financières – de la part de l’État et du Président de la République, François Hollande ?
Personnellement je ne le crois pas. Je pense qu’elle a surtout été marquée par les différents échecs des précédentes candidatures, notamment parisiennes. Par ailleurs, les Jeux, contrairement à l’Expo universelle, n’étaient pas dans son programme politique et enfin, elle n’est pas à l’aise avec la forme d’opacité du processus d’attribution des JO. Si elle devait se rétracter, elle aurait évidemment obtenu des garanties de la part du gouvernement. Elles sont de toutes les façons indispensables aux yeux du CIO.
Aussi deux questions majeures se posent dorénavant et surtout aujourd’hui :
- L’image que pourrait projeter toute candidature si la Mairie de Paris est celle d’une institution contrainte, malgré elle, de soutenir au final un tel projet qu’elle ne souhaitait pas,
- Paris a-t-elle réellement des chances sérieuses d’obtenir les Jeux de 2024 lors d’un vote en 2017.
Concernant la première question, les médias et la concurrence ne se privent pas et ne se priveront pas de la véhiculer, quitte à la déformer. Aussi, sur ce point, toute communication devrait être étudiée et anticipée en l’espèce.
– A l’inverse d’une candidature comme Madrid, certes infructueuse à trois reprises (JO 2012, 2016, 2020), Paris n’a pas fait preuve de constance et de persévérance. On dit de coutume que les membres du CIO ont bonne mémoire.
Mais au-delà de cette seule absence en tant que candidate, le manque d’engagement de Paris – de la France – au cours des dernières années, peut-il être un élément fatal pour la nouvelle candidature tricolore, au-delà d’ailleurs de toute considération technique relative au projet ?
L’infidélité de la France pour obtenir les Jeux, contrairement à l’attitude d’autres pays, est un handicap. Notre pays présente parfois l’image d’une nation qui réclame, mais qui donne peu en échange. L’absence d’une présence continue et vouloir se focaliser, comme par enchantement, sur 2024 (pour des raisons symboliques avouées ou non prêtées ou non par nos concurrents), combinée à des erreurs stratégiques passées, peuvent effectivement être pénalisantes. Aux dirigeants d’une future candidature de ne pas sous-estimer cet état de fait.
En fait, rien n’est fatal pour une candidature, encore faut-il faire le minimum d’erreurs, ne jamais se considérer comme supérieur aux autres, masquer son manque de convictions par des certitudes condescendantes et trouver des excuses pour ne pas corriger ses propres erreurs et défauts. Pas toujours aisé quand on est français, mais avec le temps et une bonne prise de conscience, on doit y arriver !
– En marge des Jeux de Sotchi 2014, Jean-Claude Killy avait souligné le fait que “le CIO romantique” n’existait plus. Il faisait alors référence au passé tout en mettant en garde les dirigeants français concernant le parallèle entre les JO 1924 et 2024. Cette échéance anniversaire constitue un risque pour une candidature française.
Ne craignez-vous pas que la France ne tombe dans ses travers habituels en basant une partie importante de son discours sur le centenaire des derniers Jeux d’été organisés à Paris ?
Jean-Claude Killy voit juste et parle en connaissance de cause. J’espère que nos dirigeants l’ont compris, même si d’aucuns font inutilement et constamment référence à 1924.
Espérons que les stratèges, notamment en matière de communication, d’une candidature de Paris pourront éviter ce piège, dans lequel la concurrence cherchera inéluctablement à nous faire tomber. Pierre de Coubertin n’appartient pas à la France et les Jeux de 1924 dont le centenaire pourrait être fêté en France, pas davantage.
– En quelques mots, avec la passion qui vous caractérise et le sens de la formule qui vous est propre – comme on peut le découvrir dans votre dernier ouvrage -, quelle expression ou citation utiliseriez-vous pour définir l’état d’esprit du Mouvement olympique français en 2014-2015 ?
En quelques mots, l’état d’esprit du Mouvement olympique français en 2014-2015 se caractériserait pour moi par : une réelle et intéressante, mais tardive et encore incomplète, prise de conscience des erreurs passées, l’obligation d’un travail de réflexion pertinent et une volonté délibérée de se porter candidat, pour des raisons essentiellement existentielles, aux Jeux de 2024, malgré les réticences de nombre de parties prenantes.
Dans ce contexte nouveau pour la France, la question urgente que doit se poser le Mouvement sportif n’est plus uniquement d’évaluer la faisabilité d’une candidature et sa capacité d’enthousiasmer les foules dans le cadre d’un projet innovant et ouvert aux jeunes, mais surtout son opportunité et sa réelle chance d’obtenir les Jeux. Par ailleurs, la communication du Mouvement olympique français en matière de candidature possible doit être formalisée et coordonnée. Elle est encore trop disparate et donne une part trop belle à l’expression individuelle. Enfin, la manière dont certains débats sont déjà conduits sur ce sujet montre combien encore l’ostracisme dans le milieu olympique prend encore trop souvent le pas sur l’ardente nécessité d’accepter la critique contributive et de respecter l’apport éventuel de toute personne étrangère à ce même milieu. Ce monde de la gouvernance sportive doit accélérer son ouverture tant vers ceux qui leur permettent d’exister que vers des secteurs qui connaissent des problématiques semblables.
En réponse à votre question, je dirai en résumant :
“Le Mouvement sportif français s’est procuré de vraies lunettes pour espérer voir et étudier la réalité olympique. Enfin et tant mieux. Je remarque qu’il est particulièrement fier de cette trouvaille et le répète à l’envie. Un espoir : que ces lunettes ne soient surtout pas portées par des personnes qui les auraient dotées, pour des raisons autant personnelles que d’opportunité, de verres roses. Si tel était le cas, ces verres vireraient rapidement et une fois de plus au noir pour le malheur de nous tous et ceux qui y croient encore et en toute bonne foi. Restons optimistes : on peut toujours trouver, le cas échéant et suffisamment tôt, des verres correcteurs” !
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