La Suisse se positionne pour les JO 2030 avec un concept décentralisé

Évoquée depuis plusieurs semaines, l’approche choisie par Swiss Olympic pour l’organisation espérée des Jeux d’hiver de 2030 a été dévoilée ce mercredi 18 octobre 2023, au travers des conclusions de l’étude de faisabilité enclenchée au printemps dernier.

Vue sur le Lac Léman depuis le balcon du Musée Olympique de Lausanne (Crédits – Sport & Société)

La Suisse rêve à nouveau des Jeux.

Après plusieurs échecs successifs, notamment avec les retraits des candidatures pour 2022 et 2026, l’un des berceaux des sports d’hiver sur le continent européen semble déterminé à décrocher les anneaux olympiques pour la première fois depuis l’édition de St-Moritz 1948.

Afin de préparer au mieux cette nouvelle marche en avant, le Comité National Olympique – Swiss Olympic – avait annoncé en mars 2023 le lancement d’une étude de faisabilité destinée à définir les conditions d’une candidature, sans pour autant viser à ce moment-là une échéance particulière.

L’idée était alors de réfléchir à un potentiel cadre organisationnel au cours de la décennie 2030, laissant la possibilité de se positionner ensuite sur 2030, 2034 ou 2038.

Aujourd’hui, l’instance helvète a officiellement fait part d’un intérêt porté sur la première échéance disponible sur le calendrier olympique, Swiss Olympic estimant désormais les conditions plus favorables pour permettre l’émergence d’un concept pensé à la taille du pays et ce, grâce aux réformes engagées ces dernières années par le Comité International Olympique (CIO). Des réformes ayant pour objectifs multiples de réduire les contraintes logistiques, de donner plus de souplesse aux organisateurs pendant la candidature et durant les préparatifs, tout en adoptant une position plus en adéquation avec les aspects financiers, sociaux et écologiques.

En se positionnant ainsi, la Suisse rejoint la France et la Suède sur le créneau de 2030, les États-Unis, avec Salt Lake City, étant quant à eux davantage positionnés sur 2034.

(Crédits – Swiss Olympic)

Pour illustrer son engagement, Swiss Olympic a publié ce mercredi 18 octobre 2023 un document de 60 pages retraçant les prémices de la réflexion et livrant surtout le contenu et les enseignements de l’étude de faisabilité, avec des volets relatifs à la vision, à l’héritage, mais encore aux soutiens de la population et des autorités publiques, sans oublier bien sûr l’aspect crucial du financement et celui, non moins essentiel, de la sécurité.

Dès les premières lignes du rapport, l’envie des Jeux transparaît, de même que les contours d’un projet mûrement travaillé en tenant compte des écueils du passé et de la réussite des Jeux Olympiques de la Jeunesse de Lausanne 2020.

Ainsi que l’expose la synthèse préliminaire :

Le rapport montre que la tenue des Jeux Olympiques et Paralympiques en Suisse à partir de 2030 est possible.

La majorité des infrastructures nécessaires existent déjà, et un financement au moyen de fonds principalement privés est décrit comme réaliste. Les différentes parties impliquées sont convaincues qu’un tel événement est en mesure d’avoir une influence positive sur l’ensemble de la Suisse, et notre pays pourra jouer un rôle de précurseur dans l’organisation de grandes manifestations durables.

Il est donc proposé de poursuivre la vision de Jeux Olympiques et Paralympiques en Suisse et d’informer le CIO de la disposition de la Suisse à passer à la phase de “dialogue ciblé”.

A l’aune de ce premier satisfecit, l’instance olympique préconise de bâtir un projet faisant de la Suisse le premier Pays Hôte dans l’Histoire des Jeux.

Une façon de se démarquer de ses rivales. Une manière aussi d’innover aux yeux du CIO.

Concrètement, en lieu et place d’un schéma rassemblant une ville et sa périphérie, comme cela a souvent été le cas au cours des éditions passées, ou une région dans sa globalité, comme cela sera le cas avec Brisbane 2032 par exemple, Swiss Olympic propose ni plus ni moins que l’organisation des Jeux d’hiver dans toute la Suisse.

Pour les porteurs de l’ambition olympique et paralympique helvète, conscients que des Jeux en Suisse ne pourraient avoir lieu dans un périmètre restreint, l’exploitation d’infrastructures déjà existantes constitue un argument de poids qui justifie l’installation d’un tel dispositif.

De même, l’expérience acquise et à venir de la Suisse dans l’accueil de manifestations sportives d’envergure est idéalement mis en exergue.

Comme l’avait d’ailleurs souligné Swiss Olympic dans le courant de l’été écoulé, l’approche décentralisée du projet vise à s’appuyer massivement sur le “World Winter Sports Hub” que représente le pays qui, d’ici 2027, aura reçu sur son territoire 9 à 10 des 14 sports d’hiver olympiques dans le cadre de rendez-vous internationaux.

Le savoir-faire organisationnel se conjugue en outre avec la volonté de préserver au maximum les ressources et de limiter l’impact des Jeux, à l’heure où la problématique du changement climatique et de la protection de l’environnement occupe une place de plus en plus prépondérante dans l’opinion et au niveau des orientations de politiques publiques.

La notion d’héritage a également été un point de réflexion important pour aboutir à la poursuite de l’aventure olympique et paralympique.

Pour preuve, le “Legacy Framework” a été élaboré en coopération avec la Haute École Fédérale de Sport (HEFSM) autour de douze objectifs comme autant de piliers fondamentaux rassemblés sur la gouvernance et sur des initiatives en six dimensions (nation suisse, sport, économie, société, écologie, décentralisation).

Comme le résume le rapport :

Notre nation est presque prédestinée à ce changement de paradigme.

L’idée est d’organiser des Jeux d’hiver décentralisés dans toute la Suisse (c’est-à-dire au sein des quatre régions géographiques et linguistiques du pays), fédérateurs et respectueux des ressources.

Une approche nationale nous permet de miser les infrastructures existantes et de renoncer à construire de nouveaux sites.

Cartographie provisoire des sites olympiques de la candidature de la Suisse aux Jeux d’hiver de 2030 (Crédits – Swiss Olympic)

A cet égard, la cartographie proposé par Swiss Olympic offre une certaine homogénéité dans le sens où toutes les zones géographiques du pays sont intégrées à un concept faisant la part belles aux sites qui ont accueilli ou qui vont accueillir des compétitions de portée mondiale.

Dans le détail, le patinage artistique et le patinage de vitesse sur piste courte (short-track) seraient localisés au sein de la Vaudoise aréna à Lausanne. La “Capitale Olympique” aurait également l’honneur de recevoir les Cérémonies d’ouverture des Jeux Olympiques et des Jeux Paralympiques sur un site encore à définir, même si le Stade de la Tuilière pourrait constituer une option pertinente.

Le hockey-sur-glace serait quant à lui fixé sur trois secteurs, entre Fribourg, Zurich et Zoug, tandis que les épreuves de bobsleigh, de luge et de skeleton seraient orchestrées à St-Moritz – Celerina.

En dehors des sports de glace, le projet helvète prévoit l’organisation du ski alpinisme – qui fera son entrée aux JO 2026 – à Morgins, alors que Crans Montana serait en toute logique sollicitée pour la tenue des épreuves de ski alpin.

Plus au centre du pays, Kandersteg et Engelberg se répartiraient les compétitions de saut à ski et de combiné nordique, et Goms (Conches en français) serait l’hôte des épreuves de ski de fond.

Enfin, à l’est de la Suisse, St-Moritz – Engadin serait mobilisée pour le snowboard et le ski freestyle, tandis que Lenzerheide serait le théâtre des épreuves de biathlon.

A ce stade du projet, certaines problématiques demeurent, à l’instar de la question relative au patinage de vitesse. Néanmoins, fidèles à leur promesse de ne pas construire de nouvelle enceinte sportive dont l’utilisation post-JO ne serait pas garantie, les porteurs du projet entendent lier un partenariat avec un pays européen.

Si la possibilité de s’associer avec l’Italie après les Jeux de Milan-Cortina 2026 peut être envisagée, l’étude de faisabilité fait aussi état de possibles discussions avec Inzell (Allemagne) ou Heerenveen (Pays-Bas). Hasard de la réflexion, une telle association est également à l’étude du côté de la candidature française, elle-aussi soucieuse de ne pas alourdir le budget et l’héritage des Jeux.

La question du curling n’est pas non plus réglée.

Bien que la Suisse soit organisatrice des Championnats du Monde masculins en 2024, l’étude de faisabilité note cependant que le site de Schaffhouse ne répond pas aux exigences de la compétition olympique. Faute d’enceinte adaptée dans le pays, des patinoires habituellement utilisées pour le hockey-sur-glace pourraient être privilégiée, l’étude faisant aussi référence à la Halle Saint-Jacques de Bâle ou à la Postfinance Arena de Berne.

Au-delà, le hockey-sur-glace féminin, le ski acrobatique (bosses et/ou big air) et une partie du short-track, pourraient être proposés au sein du Canton de Tessin qui a manifesté un intérêt pour recevoir des compétitions. Le curling précité pourrait lui-aussi être concerné.

Ne figurant pas sur la cartographie des sites sportifs, la capitale fédérale serait tout de même conviée aux festivités des Jeux, avec l’organisation in situ des Cérémonies de clôture. L’absence d’épreuves à Berne s’explique pour l’instant par le fait que les autorités locales – bien que favorables aux Jeux – estiment que 2030 ou 2034 pourraient représenter un calendrier trop serré.

Cartographie provisoire des sites paralympiques de la candidature de la Suisse aux Jeux d’hiver de 2030 (Crédits – Swiss Olympic)

En attendant des éclaircissements quant aux contours géographiques du projet, force est de constater que Swiss Olympic a décidé de mettre l’accent de sa réflexion sur deux autres éléments, à commencer par l’aspect financier.

Sans doute consciente que ce point crucial pouvait être un élément de bascule dans l’opinion, l’instance olympique a de fait mandaté la société spécialisée Altman Solon pour couvrir un audit financier.

Ce dernier montre que le budget du Comité d’Organisation des JO 2030 – sur la base du schéma pré-exposé – pourrait s’élever à 1,5 milliard de francs suisses. Pour parvenir à ce chiffrage, Altman Solon a notamment pris en considération les budgets des Championnats du Monde ou d’Europe qui doivent avoir lieu en Suisse dans les années à venir, tout en extrapolant le budget COJO à l’aune des frais spécifiques aux Jeux.

Sur la base de cet audit, l’étude de faisabilité estime que le financement des Jeux serait possible sans recourir outre-mesure aux deniers publics.

Ainsi que l’énonce le rapport :

L’analyse financière d’Altman Solon montre que le financement de l’organisation opérationnelle des Jeux Olympiques d’hiver, à l’exception des Jeux Paralympiques, serait possible dans une large mesure sans le soutien financier des pouvoirs publics.

En revanche, les pouvoirs publics apporteraient leur soutien dans les domaines de la sécurité, de l’héritage et des éventuelles optimisations ou innovations des infrastructures existantes.

Enfin, l’étude de faisabilité de Swiss Olympic relève que le soutien de la population est aujourd’hui au rendez-vous à en croire un sondage*, confortant le Mouvement sportif dans sa nouvelle approche.

A la question de savoir quelle serait la position en cas de votation populaire fédérale concernant la candidature de la Suisse aux JO 2030, pas moins de 67% des sondés ont ainsi affirmé qu’ils soutiendraient l’initiative.

Dans le détail, 40% se sont déclarés “plutôt pour” et 27%, “clairement pour”.

Parmi les autres points soulevés auprès des personnes interrogées, 47% des sondés estiment que la mise en œuvre – autrement dit les choix et orientations qui seront fixés le cas échéant – détermine leur avis quant à savoir si la Suisse doit ou non essayer d’organiser les Jeux d’hiver.

La Suisse n’a plus accueilli les Jeux depuis 1948 (Crédits – Swiss Olympic)

Avec un concept aussi innovant, Swiss Olympic devra encore affiner sa proposition pour espérer remporter la mise devant les membres du CIO.

Mais plus encore, le défi majeur des porteurs de la candidature helvète réside depuis le début de la réflexion dans la capacité à convaincre les autorités locales, régionales et fédérales, ainsi que l’opinion publique.

La modularité du concept aujourd’hui présentée offre cependant aux yeux de Swiss Olympic la possibilité d’adapter la cartographie prévisionnelle si d’aventure des localités devaient être dans l’obligation de se retirer.

Comme le mentionne à ce sujet l’étude de faisabilité :

“Dans le contexte particulier de l’organisation des Jeux Olympiques et compte-tenu de l’approche envisagée ici, les mesures attendues des autorités publiques devraient être formalisées dans des décisions administratives ou des arrêtés fédéraux plutôt que dans des actes législatifs, de sorte que les voies du référendum ne devraient pas être ouvertes. Au risque fédéral, le risque d’un référendum est très faible, même s’il ne peut pas être exclu à 100%. Au niveau cantonal, tous les cantons connaissent l’instrument du référendum financier. Cet instrument qui peut déclencher une votation populaire si une certaine partie de la population se mobilise dans un certain délai, est généralement utilisé lorsque le Parlement cantonal doit adopter des actes législatifs qui entraînent des dépenses dépassant un certain seuil fixé dans la loi”.

En s’appuyant de cette manière sur les subtilités juridiques et sur les contours jusqu’à présent déterminés pour son projet, Swiss Olympic espère mettre à bonne distance le risque référendaire qui, par le passé, a conduit nombre de projets à l’abandon.

* Sondage réalisé du 28 août au 08 septembre 2023 par l’institut gfs.bern auprès d’un échantillon de 1 020 personnes, résidents en Suisse et âgées de 16 ans et plus.

Une pensée

  1. Très belle proposition et très cohérente, qui risque d’être très largement plébiscitée pour un dialogue ciblé au détriment des autres candidats.
    La Suisse a tous les avantages pour répondre aux exigences du CIO. Leur ligue de Hockey connait la plus forte affluence (dont la Postfinance arena de Berne avec 17000 places – meilleure affluence d’Europe). Nul doute que le public suivra. Ils ont de grosses infrastructures de glace, récentes ou largement rénovées + aucun soucis pour les sites de neiges.
    Etonnant qu’il n’y ait pas Genève et Bâle dans les propositions, alors que ces 2 capitales régionales ont des arguments massifs. Le parc Palexpo pourrait facilement accueillir une piste longue de glace de vitesse (seul site manquant dans la candidature), en profitant de ces Halls très facilement modulables.
    Le stade de la Tuillière de Lausanne est trop petit et non modulable pour des cérémonies de JO. Il faut plutôt profiter des stades de l’Euro 2008 (Berne, Bale, Genève ou Zurich).
    Le curling pourrait prendre place dans l’une des nombreuses salles de hockey du pays, comme à Lugano, ou la Tissot Arena de Bienne, ouverte en 2015, avec un stade d’échauffement de curling dédié.
    Ils ont une très large avance vis-à-vis de notre proposition.

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