Quand Venise ambitionnait d’accueillir les Jeux d’été

Alors que l’UNESCO pourrait prochainement placer Venise sur la liste du Patrimoine Mondial en péril, il apparaît aujourd’hui intéressant de se souvenir de la volonté passée de la ville de prétendre à l’organisation des Jeux Olympiques et Paralympiques d’été de 2020. Pour espérer obtenir l’investiture italienne, et en dépit de la concurrence de Rome, la “Sérénissime” avait alors développé un ambitieux projet régional.

Visuel du concept de Parc Olympique envisagé par la candidature de Venise pour les Jeux Olympiques et Paralympiques d’été de 2020 (Crédits – Venezia 2020 / Archives)

Entre 2009 et 2010, la Ville de Venise avait affiché son ambition d’accueillir les Jeux d’été de 2020 et ce, en présentant un projet devant le Comité National Olympique Italien (CONI).

A l’époque, deux candidatures avaient été soumises à l’appréciation de l’instance olympique transalpine avec, outre Venise, la présence remarquée de Rome. Cette dernière avait d’ailleurs sans grande surprise décroché l’investiture pour pouvoir représenter l’Italie sur la scène internationale.

Le 19 mai 2010, le CONI avait ainsi exposé l’évaluation des deux projets en face à face, et avait notamment salué l’une des forces de la proposition de la capitale, à savoir l’existence de 71% des sites nécessaires à l’accueil des Jeux. Côté vénitien, ce chiffre était bien moindre, puisque le projet de la “Cité des Doges” n’affichait que 55% de sites potentiellement opérationnels au moment de l’évaluation.

Aussi, Rome remporta la mise à l’aune d’un examen plus que réussi, la “Ville Éternelle” obtenant alors une notation de 32,2 sur un total possible de 35 points. Dans le même temps, Venise n’avait été en mesure de rassembler que 20,1 points.

(Crédits – Venezia 2020 / Archives)

Au cours des mois précédents, Venise et sa région avaient pourtant tenté de convaincre les décideurs italiens, présentant aussi bien un dossier technique – les réponses aux questionnaire d’évaluation du CONI – de même qu’une vidéo promotionnelle dans laquelle la candidature avait mis en exergue son concept.

La candidature avait par ailleurs souligné le soutien institutionnel obtenu dès l’automne 2009, avec dans le détail, l’appui de la Ville de Venise suite à une délibération municipale du 21 octobre 2009, un soutien exprimé par la Région de la Vénétie le 03 octobre 2009, mais également les votes favorables des Communautés Métropolitaines de Trévise (28 octobre 2009) et de Padoue (03 novembre 2009), sans oublier l’appui de la Chambre de Commerce et d’Industrie de Venise (14 décembre 2009).

Le Maire d’alors, Massimo Cacciari, avait justifié l’ambition de sa ville par le tremplin que pouvait représenter la tenue des Jeux pour redynamiser les projets d’aménagement du territoire.

Comme il l’avait notamment affirmé :

Les Jeux Olympiques constituent le plus grand événement international, et organiser les Jeux de 2020 permettrait à la ville et à l’ensemble urbain représenté par le triangle Venise-Padoue-Trévise d’accélérer les nombreux projets de requalification qui depuis des années remplissent les agendas des institutions de cette région.

Venise 2020 avait en outre sollicité une enquête d’opinion* auprès de l’institut Eurisko GFK qui avait alors fait apparaître l’intérêt de 75% des Italiens pour une candidature de leur pays à l’organisation des JO 2020.

Plus encore, le soutien à l’égard de la candidature vénitienne avait été relevé à 73% parmi les Italiens sondés et à 81% au sein de la population locale.

(Crédits – Venezia 2020 / Archives)

Concernant le financement de la candidature, Venise 2020 projetait de mobiliser une enveloppe de 60 millions de dollars, soit 44 millions d’euros en valeur 2010.

Sur ce global, la phase de requérance aurait nécessité l’apport de 18 millions de dollars, tandis que la phase de candidature aurait conduit à l’injection de 42 millions. Dans le détail, l’État italien aurait été invité à couvrir la moitié du budget de candidature, soit 30 millions de dollars, alors que la Région de la Vénétie aurait pu fournir 12 millions, les Collectivités locales associées au projet, 3 millions, et enfin le secteur privé pour 15 millions.

Au-delà du financement de la candidature, les réponses au questionnaire du CONI avaient aussi permis d’identifier les modalités de financement du projet, autrement dit, le budget du Comité d’Organisation et le budget hors-Comité.

Pour le premier, Venise 2020 avait avancé une projection de 1,830 milliard d’euros, incluant les prévisions de recettes issues de la contribution du Comité International Olympique (CIO) et autres droits marketing et de billetterie. Pour le second, la candidature avait estimé les besoins à 742 millions d’euros, en tenant compte du fait que 307 millions d’euros concernaient des infrastructures déjà planifiées indépendamment des Jeux. Aussi, sur le restant, soit 435 millions d’euros, quelques 304 millions auraient été apportés par des fonds publics.

Bien que ces diverses estimations apparaissent de toute évidence bien en-deça du coût réel qu’aurait engendré un tel projet olympique et paralympique – et les Villes Hôtes successives en ont été une illustration avec des budgets supérieurs – les porteurs de la candidature vénitienne avaient exposé les contours logistiques et le concept régional de Venise 2020.

Concrètement, le projet s’articulait autour de trois clusters imbriqués les uns dans les autres, à savoir le Quadrante Olimpico – que l’on peut considérer comme le Parc Olympique à une dizaine de kilomètres du centre historique -, l’Anello Olimpico couvrant une aire urbaine intégrant Venise et sa lagune, et l’Area Olimpica intégrant les Collectivités associées, avec au premier rang, Trévise et Padoue.

Sur le Quadrante Olimpico – détaillé dans la vidéo promotionnelle éditée par la candidature – un Stade Olympique de 80 000 places aurait été construit de manière pérenne. Recouvert de panneaux photovoltaïques, l’édifice aurait été l’écrin des Cérémonies d’ouverture et de clôture, de même que des compétitions d’athlétisme.

Non loin, l’Aqua Center (5 000 à 12 000 places) aurait été le théâtre des épreuves de natation, natation synchronisée, plongeon, ainsi que du tournoi de water-polo, tandis que le Palazzetto Olimpico aurait pour sa part abrité le tournoi de handball (10 000 places).

Outre ces installations pensées de façon pérenne, deux éléments adjacents auraient été conçus dans un schéma temporaire, avec les “Multicube”, soit trois pavillons multi-sports démontables qui auraient pu accueillir la boxe (6 000 places) et l’escrime (12 000), le judo et la lutte (8 000), l’haltérophilie et le taekwondo (5 000), ainsi que le “Cubo Olimpico” de 15 000 places pour le volleyball et le basketball, et enfin l’Open Air Arena pour le tir-à-l’arc (4 000).

Au niveau de l’Anello Olimpico, Venise et sa lagune auraient été le cadre choisi pour une multitude de rendez-vous sportifs en plein air, avec la voile et le triathlon (2 500 places), le golf (5 000), le cyclisme sur route et contre-la-montre (1 000), mais encore la natation en eau libre ou natation marathon.

Pour les autres sites de la région vénitienne, le Parc San Giuliano aurait pour sa part abrité le tournoi de tennis avec des courts temporaires d’une capacité respective de 3 000, 5 000 et 10 000 places. La VEGA Park Arena aurait été l’écrin de la gymnastique artistique et du trampoline (12 000 places), ainsi que de la gymnastique rythmique (5 000). L’île de Sant’Elena aurait reçu quant à elle le tournoi de hockey-sur-gazon (10 000). Le secteur de Jesolo aurait de son côté accueilli le tournoi de tennis de table au sein du Palazzo del Turismo (5 000), de même que le tournoi de beach-volley (12 000) sur ses plages.

Concernant enfin les Collectivités associées – situées dans l’Area Olimpica – Trévise avait été proposée pour recevoir l’aviron et le canoë-kayak (Le Bandie, 8 000), le tournoi préliminaire de volleyball (Palaverde, 6 000), le cyclisme sur piste (Velodromo, 5 000), le BMX et le VTT (Montello Bike Drome, 5 000 et 2 000 places), mais aussi une partie du tournoi de rugby à 7 (Stadio Monigo, 10 000). Parallèlement, Padoue avait été évoquée pour recevoir les sports équestres et le pentathlon moderne (Hippodrome, 12 000), le cross country (5 000), le tir sportif (Polygone, 3 000), le badminton (Palanet, 5 000), et une partie du rugby à 7 (Stadio Euganeo, 32 000).

Le tournoi de football aurait quant à lui été organisé sur quatre villes et deux régions, à savoir en Vénétie, Vicence (30 000 places) et Vérone (40 000), et en Frioul-Vénétie Julienne, Udine (35 000) et Trieste (28 000).

In fine, 26 sites destinés aux compétitions avaient été mentionnés par Venise 2020, dont 73% de sites permanents et 27% d’installations temporaires, sachant que 44% des sports inscrits au programme des Jeux auraient été localisés dans le Quadrante Olimpico.

La candidature avait également fait savoir qu’à l’été 2013 – soit au moment de la désignation de la Ville Hôte des Jeux – 65% des sites pouvaient être opérationnels, l’aménagement des autres infrastructures (35%) dépendant finalement du résultat du vote olympique.

Carte de répartition des sites pour la candidature de Venise 2020 (Crédits – Venezia 2020 / Archives)

Pour compléter ce dispositif sportif, Venise 2020 avait projeté l’édification d’un Village des Athlètes à 300 mètres seulement du Stade Olympique.

Pensé dans le cadre d’un projet de développement urbain déjà en réflexion à l’époque sur une superficie globale de 220 hectares, le Village aurait pris place dans un secteur de 37 hectares, avec des bâtiments de faible hauteur – 15 mètres au plus – pour s’intégrer dans l’environnement paysager alentour.

Dans un souci de durabilité et de gestion des ressources énergétiques, les immeubles – comportant un total de 18 000 lits – auraient en outre été agencés en terrasses afin de profiter au maximum de l’ensoleillement, et auraient également été équipés d’un système de chauffage par géothermie.

La reconversion des espaces d’hébergement des athlètes avaient aussi été pensée pour garantir un impact “zéro” sur le territoire.

De fait, un tiers du Village aurait été démantelé après les Jeux, car reposant sur l’utilisation de structures temporaires financés sur des fonds publiés, structures qui auraient alors laissé place à un aménagement paysager. Les deux tiers restants aurait eu une vocation de logements résidentiels et universitaires, ainsi que pour des activités tertiaires et commerciales, sachant qu’une partie du site était prévue indépendamment des Jeux sur la base de financements privés.

Autres structures-clés des Jeux, le Centre International de Radio et Télévision (CIRTV) et le Centre Principal de Presse (CPP) auraient été localisés près de l’aéroport de Venise, dans une extension de 10,4 hectares, offrant dès lors une parfaite desserte et accessibilité au site, mais encore à la zone du Quadrante Olimpico adjacente de 1,5 km.

Que ce soit l’espace aéroportuaire ou le secteur du Village des Athlètes, les deux auraient en outre été desservis par de nouveaux moyens de transport, parmi lesquels une liaison rapide via un système de navettes automatiques assurant une fréquence de passage toutes les 5 minutes.

Les axes routiers, autoroutiers et ferroviaires de toute la région, ainsi que les infrastructures aéroportuaires de Trévise et Vérone, auraient par ailleurs été mobilisés pour permettre une connexion appropriée entre Venise et les autres Collectivités appelées à héberger des compétitions durant les Jeux.

Cartographie des sites de la candidature de Venise 2020 (Crédits – Venezia 2020 / Archives)

Ce projet – finalement retoqué par le CONI – aurait pu être repris pour 2024, sans que toutefois l’objet d’une candidature ne soit formellement adopté par les autorités locales, d’autant plus avec la présence de Rome, à nouveau candidate.

Car bien qu’ayant été sélectionnée par l’instance olympique italienne pour 2020, la capitale avait renoncé en février 2012, en raison d’un manque d’appui du gouvernement alors présidé par Mario Monti.

Ce retrait avait notamment conduit à la démission de Mario Pescante de son poste de premier Vice-Président du CIO, lui qui fut aussi à la tête de la candidature romaine.

A l’époque, celui-ci avait justifié en ces termes sa décision :

Ce renoncement à mes engagements ne doit pas être interprété dans un sens polémique lié à la décision du gouvernement de ne pas signer la lettre de garantie pour la candidature de Rome.

La décision de Mario Monti a été prise dans l’intérêt du pays.

Par la suite, Rome avait à nouveau été choisie par le CONI pour porter les couleurs nationales sur la scène olympique pour les JO 2024, avant que la candidature ne sombre à son tour, là-encore en raison d’un manque de soutien institutionnel, venant cette fois de l’échelon local.

Le refus exprimé par la Maire, Virginia Raggi, d’appuyer un tel projet avait donné lieu à une vive passe d’armes entre l’élue et les dirigeants du CONI, dont le Président de l’instance, Giovanni Malago.

Une série de visuels avait notamment été réalisée par le CONI et le Comité de Candidature de Rome 2024 pour illustrer les chantiers qui ne pourraient être menés à bien.

Amer, Giovanni Malago avait affirmé dès la mi-septembre 2016 que l’Italie n’envisagerait pas de nouvelle candidature à moyen terme en cas de retrait :

Pour les 30 ou 50 ans qui viennent, nous dirons au revoir aux Jeux.

[…] La candidature est devenue un jeu complexe qui ne concerne plus seulement le sport, mais qui est désormais orienté pour moitié par la politique.

Une position toutefois reconsidérée moins de deux ans plus tard, avec la candidature de Milan-Cortina 2026 pour l’organisation des Jeux d’hiver, candidature présidée par Giovanni Malago en personne.

* Sondage réalisé du 03 au 15 février 2010 par l’institut Eurisko GFK auprès d’un échantillon représentatif de la population locale et italienne de 1 000 personnes âgées de plus de 18 ans.

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