Au moment où la crise géopolitique entre l’Ukraine et la Russie a pris un nouveau tournant, avec l’enclenchement cette semaine d’une offensive militaire russe pour déstabiliser Kiev, le Comité International Olympique (CIO) condamne et demande une réaction des Fédérations Internationales, sans pour autant prendre lui-même de décision ferme.

A l’aube des Jeux Olympiques d’été de Rio 2016, l’institution olympique avait tergiversé sur la participation ou non de la Russie au regard des soupçons de dopage organisé révélés après les Jeux d’hiver de Sotchi 2014 et ce, à l’inverse du Comité International Paralympique (IPC).
In fine, le CIO avait laissé le soin à chacune des Fédérations Internationales de se positionner en conscience, donnant alors le sentiment de se défausser et de ne pas aller sur le terrain risqué d’une confrontation avec un géant du sport mondial qui, malgré les critiques sur son régime, s’avère être un partenaire régulier dans l’organisation d’événements-phares (Moscou 2013 pour les Mondiaux d’athlétisme, Sotchi 2014 pour les JO, Kazan 2015 pour les Mondiaux de natation, Coupe du Monde de football 2018, etc).
Les autorités russes avaient à l’époque salué le refus de trancher du CIO par l’intermédiaire du Ministre des Sports, Vitaly Mutko. Ce dernier avait notamment déclaré :
Le CIO a pris une décision objective et dans l’intérêt de l’unité de la Famille Olympique.
Nous sommes reconnaissants vis-à-vis du CIO pour cette décision.
Aujourd’hui, le scénario consistant à se défausser semble quelque peu se reproduire.
De fait, face aux inquiétudes légitimes soulevées par la communauté olympique ukrainienne à moins d’une semaine seulement de l’ouverture des Jeux Paralympiques de Pékin 2022, force est de constater que le CIO adopte une nouvelle fois une posture susceptible de lui être, plus tard, reprochée.
Ainsi, après avoir publié dans un premier temps, un communiqué condamnant l’offensive militaire en Ukraine, le CIO a mis en ligne dans un second temps, un nouveau communiqué dans lequel il invite expressément les Fédérations Internationales à prendre des mesures vis-à-vis de la Russie, mais également de la Biélorussie qui est un allié géographique et politique majeur de Vladimir Poutine.
Ainsi qu’il a été énoncé :
La Commission Exécutive du CIO demande instamment à toutes les Fédérations Internationales de sports de déplacer ou d’annuler leurs manifestations sportives actuellement prévues en Russie ou au Bélarus. Elles devraient tenir compte de la violation de la Trêve Olympique par les gouvernements russe et bélarussien et placer la sûreté et la sécurité des athlètes au premier rang de leurs priorités. Le CIO lui-même n’a aucune manifestation prévue en Russie ou au Bélarus.
Par ailleurs, la Commission Exécutive du CIO demande instamment de ne pas déployer le drapeau national russe ou bélarussien et de ne pas jouer l’hymne russe ou bélarussien dans le cadre de manifestations sportives internationales qui ne soient pas déjà soumises aux sanctions édictées par l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) à l’encontre de la Russie.
Dans ce propos du CIO, au moins un point interpelle.
En effet, aucune manifestation olympique ne peut actuellement se tenir en Russie en raison des restrictions imposées dans le cadre des mesures prises en concertation avec l’Agence Mondiale Antidopage (AMA). Le propos du CIO est donc au mieux un rappel ou au pire, un cas de communication institutionnelle.
En outre, il est légitime de se poser la question de savoir quelle aurait été l’attitude du CIO si une édition des Jeux était en cours ou tout du moins en préparation sur le territoire russe : l’institution présidée par Thomas Bach prendrait-elle la responsabilité de retirer l’organisation des Jeux et d’engager une relocalisation dans une ville et une région considérées comme plus à même d’accueillir les athlètes rassemblés sous la bannière olympique ?

D’ores et déjà – et loin de l’apolitisme habituel – plusieurs composantes du Mouvement Olympique ont acté l’exclusion de la Russie ou la mise en place de solutions alternatives à la tenue d’événements programmés sur place au cours des semaines ou mois à venir.
Parmi les exemples à citer, la Fédération Internationale de Ski (FIS) a ainsi retiré du calendrier les épreuves mondiales planifiées dans le pays, tandis que la Fédération Internationale de Biathlon (IBU) a décidé d’exclure la Russie et la Biélorussie de ses compétitions, tout en laissant la porte ouverte à une participation des athlètes sous bannière neutre.
La Fédération Internationale du Sport Automobile (FIA) a quant à elle rayé de son calendrier le Grand Prix de Russie en Formule 1 qui devait avoir lieu au cours du second semestre 2022 à Sotchi, autour des sites hérités des JO 2014.
L’Union Européenne des Associations de Football (UEFA) a pour sa part pris la décision de délocaliser la finale de la Ligue des Champions de Saint-Pétersbourg vers le Stade de France à Saint-Denis, en France. L’organisation continentale devrait par ailleurs mettre un terme à son partenariat avec l’entreprise russe “Gazprom”, partenariat qui rapportait jusqu’alors un pactole d’environ 40 millions d’euros annuels dans les caisses de l’UEFA.
Du côté du CIO en revanche, aucune mesure autre que la condamnation par communiqué et l’appel fait aux instances internationales n’a été prise.
Or, l’institution olympique pourrait engager une sanction massive appliquée par le passé, et qui avait vu l’exclusion de l’Allemagne des Jeux de 1920, 1924 et 1948 en réponse aux agissements de cette dernière au cours de la Première, puis, de la Seconde Guerre Mondiale. Il en fut de même pour le Japon concernant l’accès aux Jeux de 1948.
Aujourd’hui, et bien que cela ne semble pas dans les tuyaux à ce stade, le CIO pourrait appliquer une sanction similaire à la Russie dans la perspective des Jeux de Paris 1924, et potentiellement, de Milan-Cortina 2026.
Une mesure de cette envergure aurait bien sûr une incidence sur les athlètes russes, mais serait surtout de nature à démontrer une certaine prise de conscience forte du CIO comme acteur décisionnel au milieu d’une crise géopolitique et militaire que l’Europe n’a plus connu depuis le conflit mondial de 1939-1945.
Le CIO pourrait en outre choisir d’exclure la Russie des discussions autour de l’organisation d’une prochaine édition des Jeux, plusieurs villes étant intéressées par l’échéance estivale de 2036 sous la supervision directe de Vladimir Poutine.
Certes, le sport ne serait sans doute pas la clé de résolution d’une telle crise, mais lorsque l’on sait l’importance accordée aux vitrines sportives que sont les Jeux ou les manifestations internationales pour des dirigeants comme Vladimir Poutine, de même que l’investissement d’oligarques proches du pouvoir dans des clubs et directions sportives, notamment sur le continent européen, la sanction pourrait tout de même être impactante et contribuer à l’affaiblissement de la Russie dans le concert des nations.