Interview – David Smetanine : “Montrer que le handicap peut être un atout, une force et non une contrainte”

Médaillé d’argent aux Jeux Paralympiques de Rio 2016, le nageur David Smetanine dispose de l’un des plus beaux palmarès du handisport français.

A ce jour, ce natif de Grenoble a en effet participé à quatre éditions des Jeux Paralympiques au cours desquelles il a glané 9 médailles, soit 2 en or, 5 en argent et 2 en bronze. David Smetanine a aussi concouru lors de cinq Championnats du Monde (10 médailles dont 3 titres) et quatre Championnats d’Europe (11 médailles dont 3 en or). Enfin, depuis le début de sa carrière, David Smetanine a remporté pas moins de 140 titres de Champion de France, ce qui constitue un record national.

Aujourd’hui, pour “Sport & Société”, le nageur a excepté de se confier sur son parcours dans et en dehors des bassins, mais aussi sur la perception du handicap dans la société, et sur ses attentes à l’égard du projet olympique et paralympique de Paris 2024.

Auréolé d’une médaille d’argent sur 50 mètres aux Jeux Paralympiques de Rio 2016, David Smetanine possède l’un des plus beaux palmarès du handisport français (Crédits – David Smetanine)
  • Qu’est-ce qui est ressorti de la visite à Paris, le 10 novembre dernier, du Président du Comité International Paralympique (IPC), Andrew Parsons ?

Une vraie relation s’est installée avec le Président de l’IPC, relation qui s’est concrétisée au cours de sa venue à Paris, où il s’est rendu à la Tour Eiffel, au Quai Branly et dans une école en Seine-Saint-Denis.

Dans ce collège Dora Maar – où nous nous étions rendu au printemps dernier – il était question de valoriser le sport paralympique et de faire découvrir aux élèves des disciplines comme la boccia.

  • En quoi le projet de Paris 2024 peut-il justement amener une évolution de la perception, notamment de la jeune génération, sur le handicap ?

Avec cette journée d’initiations, il y a eu une vraie plus-value.

Les élèves ont pu prendre conscience que la France allait organiser les Jeux Paralympiques. C’est important, car avec ce genre d’initiatives, nous créons de la connaissance et de l’information vis-à-vis de la jeune génération. Cela permet aussi de démystifier les choses, de créer du lien social et d’amener une sensibilisation au handicap à travers le sport.

En se mettant dans un fauteuil roulant, les élèves se rendent compte de la difficulté que nous avons, de la rapidité et de la dextérité qu’il faut avoir, et cela permet en fin de compte de constater que nous sommes des athlètes de haut niveau. Ce terme n’était pas inconnu pour les élèves présents, mais il y a eu néanmoins une prise de conscience forte, car nous avons les mêmes tenues que les athlètes valides, les mêmes primes aussi. Surtout, nous montrons qu’il n’y a pas de différence et que le handicap peut être pleinement intégré.

Dès lors, nous avons été questionné sur le niveau de l’équipe de France Paralympique, sur les performances, les classements et la localisation des sites de Paris 2024.

  • Lors de la venue du Président de l’IPC, la présence du Premier Ministre, Édouard Philippe, a été remarquée. Comment interprétez-vous cet engagement au sommet de l’État ?

L’État est pleinement engagé et que le Premier Ministre se soit autant mobilisé, cela représente un signe fort, car au-delà du sport, d’autres thématiques se font jour, à commencer par l’éducation ou l’accès à l’emploi.

L’engagement du Premier Ministre était important et les sportifs présents ont d’ailleurs pu échanger avec lui. Sa présence était aussi essentielle pour montrer que dès l’école, les notions de diversité et d’inclusion doivent être abordées.

Le sport est ici un outil pédagogique qui permet de faire avancer ces notions.

  • Les Jeux Paralympiques ont gagné en visibilité, en particulier depuis Londres 2012. Comment accroître cette dynamique dans l’optique des Jeux de 2024 ?

Il faut d’abord renforcer le volet compétitions à la télévision et dans les médias en général, car il y a encore une certaine forme de méconnaissance à l’égard des disciplines du handisport.

Ce coup de projecteur est par ailleurs nécessaire pour créer un lien avec le public, en montrant les sacrifices des sportifs de l’équipe de France Paralympique, leur préparation et leur fierté de défendre les couleurs nationales.

Ce serait aussi utile pour valoriser la notion de l’exemplarité. Comment se relever après un accident ? Comment repartir de l’avant et devenir sportif de haut niveau ? Les jeunes sont d’ailleurs attentifs à ces questions.

Paris accueillera les Jeux Olympiques du 02 au 18 août 2024 et les Jeux Paralympiques du 04 au 15 septembre 2024 (Crédits – Paris 2024)
  • Vous avez participé à plusieurs éditions des Jeux Paralympiques. Quel regard portez-vous sur ces participations ?

Il y a deux éléments ; la perception sportive et la perception personnelle.

La première Marseillaise, à Pékin, le premier jour, ce fut un moment particulier. J’ai en même temps ressenti la fierté de ramener une médaille et la nécessité de se reconcentrer pour les épreuves suivantes.

J’ai aussi vu le chemin parcouru depuis Athènes 2004 et la différence de traitement avec les Jeux de Pékin 2008. Pour Athènes, 700 à 800 médias étaient présents pour couvrir les compétitions paralympiques. Quatre ans plus tard à Pékin, il y en avait 3 000.

Il y a également eu une différence quant à l’affluence dans les stades et l’engouement du public. Entre Athènes et Pékin, ce n’était pas le même niveau.

Londres a amené par la suite cette reconnaissance spécifique du haut niveau paralympique. Nous étions alors face à de vrais experts du sport, face à des connaisseurs, et pas face à des gens qui se disent « ils ont eu un accident et ils font du sport, c’est super, on va voir un spectacle ! » Il s’agissait ici de parler véritablement de sport de haut niveau et de champions. Les spectateurs étaient fans de natation, ils connaissaient nos performances et nos palmarès. Ce fut quelque chose de marquant !

Cette évolution dans le temps doit être une source d’inspiration pour le projet paralympique de Paris 2024 et pour la valorisation du sport paralympique en France. Quoi de mieux que d’imaginer que les Jeux Paralympiques pourront faire briller les yeux des enfants qui ont eu un accident dans leur vie.

Montrer que tout est possible, que l’on peut se relever d’un parcours difficile, c’est un objectif légitime. Nous serons en 2024 et non en 2004 et il est à espérer que nous aurons cette révolution pour des Jeux modernes, vingt ans après Athènes. Je le souhaite et j’en suis même persuadé.

  • Outre votre carrière sportive, vous avez aussi acquis une expérience au sein de l’IPC et également dans le monde politique et associatif. Quel retour d’expérience avez-vous de cet engagement multiforme ?

J’ai eu besoin d’avoir cet engagement dans plusieurs structures, institutionnelles, associatives ou politiques. Chacune de ces expériences est enrichissante. Elles permettent de faire passer des messages et d’ouvrir les yeux sur différentes problématiques. Elles permettent aussi de constater que le sport en France n’est pas à l’égal du sport dans les pays anglo-saxons par exemple, en particulier en ce qui concerne la place du Mouvement paralympique.

Nous avons encore du mal dans notre pays à montrer que le handicap peut être un atout, une force et non une contrainte.

Le fait d’être impliqué au niveau national ou international permet de se rendre compte de l’écart et de la différence qui perdurent en termes de crédits, de financements, mais également de perception des athlètes paralympiques de haut niveau qui n’ont pas la même image que les athlètes olympiques. Nous n’avons pas encore le même rang et le même niveau que l’on peut constater dans certains pays anglo-saxons.

A Londres par exemple, la nageuse Ellie Simmonds est une superstar ; elle est adulée, elle représente un idéal de réussite. En France, nous n’avons pas encore cette perception. Nous sommes reconnus, nous sommes appréciés, mais il reste un niveau à passer malgré tout.

Le fait de contribuer à la prise de décisions, le fait de porter des projets, c’est quelque chose d’important. Ce fut notamment le cas auprès de la Région Rhône-Alpes avec la création d’une Team Rhône-Alpes pour les Jeux de Londres, de Sotchi et de Rio. Nous avons mis en avant une aide de la Région, avec un soutien financier et un soutien en termes de compétences que ce soit pour les athlètes olympiques ou pour les athlètes paralympiques. Cela a permis de construire un projet dans sa globalité.

  • L’actuelle Ministre des Sports est issue du Mouvement sportif français. En quoi Laura Flessel peut-elle contribuer, au-delà du seul projet olympique et paralympique, à apporter une dynamique de reconnaissance ?

Laura Flessel a cette capacité de comprendre les besoins et les enjeux pour faire une carrière sportive et ce, du fait d’avoir baigner dans le sport toute sa vie. Elle a en ce sens une vision très pragmatique sur notamment comment gérer une double carrière sport-emploi ou sport-cursus scolaire et universitaire.

Du fait de notre position de sportifs de haut niveau, nous ne pouvons pas négliger ce double volet, surtout lorsque l’on sait que nous n’avons pas une visibilité en termes de sponsoring qui puisse nous permettre d’en vivre toute notre vie.

A Pékin, j’ai pu gagner un peu d’argent car j’ai remporté l’or paralympique avec une prime à la victoire de 50 000 euros. Mais il y a eu une évolution sur ce terrain également. A Athènes, lorsque j’ai remporté ma médaille de bronze, j’ai reçu une prime de 2 500 euros.

Au quotidien, c’est une problématique à prendre en compte car même si nous réussissons notre carrière, si nous remportons des victoires, cela ne nous permet pas de vivre de notre statut à 100%. Or, le haut niveau, ce sont des sacrifices quotidiens et c’est un travail à temps plein.

Avec Laura Flessel, nous avons donc une Ministre qui connait le sport, qui connait les enjeux. Et puis n’oublions pas d’ailleurs qu’elle est issue d’un sport qui n’est pas particulièrement médiatisé à l’année à l’inverse de l’athlétisme ou de la natation. Compte-tenu de cette position passée, je pense que la Ministre peut insuffler une dynamique au projet de Paris 2024 pour valoriser les sports un peu plus confidentiels et créer un élan pour toutes les disciplines, avec aussi un accent sur la culture du fait des sites choisis pour les épreuves (tir-à-l’arc sur l’Esplanade des Invalides, boxe et tennis à Roland Garros, etc…).

Carte des sites paralympiques de Paris 2024

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