JO 2020 : Istanbul tente de rassurer le CIO, mais n’est-il pas déjà trop tard ?

Samedi, lors de la réunion de l’Association des Comités Nationaux Olympiques (ACNO) à Lausanne, les représentants de la candidature stambouliote ont tenté de rassurer la famille olympique, après plus de quinze jours de contestation sociale en Turquie.

A l’image de Tokyo et de Madrid, Istanbul a présenté ses principaux arguments, notamment le dynamisme turc et la jeunesse du pays, tout en indiquant que la cité du Bosphore serait « une Ville Hôte encore meilleure en 2020 ».

Istanbul 2020 - ANOC 2013 - délégation officielle

Présentée comme la grande rivale de Tokyo dans la course à l’organisation des Jeux d’été, Istanbul a perdu du crédit au cours des dernières semaines. Basant son dossier de candidature sur la sécurité et la stabilité politique et économique, Istanbul 2020 a dû revoir son argumentation compte tenu des événements liés à l’aménagement du Parc Gezi près de la Place Taksim.

Pour Ugur Erdener, Président du Comité Olympique de Turquie, « le chemin d’une nation démocratique n’est pas toujours facile, mais c’est un chemin juste. A Istanbul, la voix du progrès sera tempérée par celle de la tolérance. L’engagement de notre démocratie laïque et sa responsabilité à gouverner en seront renforcées ».

Tentant à son tour de déminer un terrain diplomatique à risque, la championne de tennis, Cagla Büyükakçay a affirmé : « Vous nous avez vu à la télévision mais ne vous méprenez pas ! Tout le monde veut avoir les Jeux ! » Pas sûr néanmoins que cela soit suffisant pour convaincre le CIO d’attribuer les JO à la Turquie, après quatre tentatives infructueuses.

Ugo Althuza*, jeune étudiant français, a accepté de témoigner de la situation à Istanbul, après avoir séjourné trois jours sur place, entre le 07 et le 09 juin :

« La situation en Turquie est connue de tous : le gouvernement du Premier Ministre Erdogan (Parti AKP) avait pour projet de détruire un parc à Istanbul, le Parc Gezi, pour bâtir une caserne et un centre commercial.

Des militants campaient dans le Parc pour empêcher cette destruction. Les policiers ont alors tenté de les déloger de manière brutale mais de nombreux habitants du quartier ont rejoint les militants pour les soutenir et lutter avec eux pour la défense du Parc Gezi.

Le mouvement est devenu de plus en plus puissant par la suite, jusqu’à occuper la grande Place Taksim. Chaque nuit, des policiers ont tenté de déloger les manifestants de la place, parfois avec violence (officiellement trois morts au 07 juin, mais au moins dix selon les organisations locales).

J’ai pu parler à de nombreuses personnes, militants, associatifs ou politiques, mais aussi de simples ‘civils’. Unanimement, tous m’ont affirmé que la défense du Parc Gezi n’était pas la raison principale du mouvement. Celui-ci a des causes plus profondes et il s’agit par conséquent pour la population de montrer que son seuil de tolérance a éclaté.

Les manifestants ont ainsi dénoncé tant les mesures récentes (loi restreignant la consommation d’alcool…), que la politique globale du gouvernement, que ce soit en matière de libertés fondamentales et politiques (les étudiants sont notamment sous pression afin de les dissuader de s’engager sur la scène politique) ou en matière économique (avec une hausse des inégalités et de la pauvreté malgré la croissance économique importante).

Lors de mon week-end à Istanbul, les policiers avaient abandonné la place aux manifestants. Je n’ai vu des trois jours le moindre policier en uniforme, mais seulement une place remplie (entre 100 000 et 200 000 personnes) où la population discutait collectivement (surtout en journée), chantait, dansait, dans une bonne atmosphère, sans se demander de quel bord politique était untel ou untel. J’ai par exemple vu des jeunes ayant voté AKP aux dernières élections, danser avec de jeunes trotskistes !

Mais cette atmosphère pourrait bien vite prendre fin.

Selon les informations circulant parmi les manifestants, le fait que la police ait abandonné la place n’est pas synonyme de recul gouvernemental, mais d’une stratégie visant à briser l’atmosphère festive régnant aux abords du Parc Gezi depuis deux semaines, avant de revenir à la charge avec une violence accrue.

L’avenir est incertain, mais il ne fait aucun doute que le mouvement risque de perdurer et ce, contrairement aux prévisions gouvernementales, car la rancœur des manifestants est à la fois profonde et ancienne.

Nous pouvons donc parier que même si le gouvernement réussi à éteindre le mouvement, le terreau populaire sera fertile à de nouvelles étincelles, le mouvement de protestation du Parc Gezi ayant fortement politisé de nombreuses personnes« .

Cette crainte d’une prolongation du mouvement ou tout du moins, d’un retour de celui-ci dans les mois et années à venir, est d’ailleurs partagée au sein même du Comité International Olympique (CIO).

Ainsi, pour un membre du CIO – sous couvert d’anonymat –, « quand on voit le mécontentement des habitants pour la construction d’un centre commercial, alors on peut imaginer ce que pourraient être les protestations si Istanbul gagnait les Jeux, et ce qui se passerait lors du début des travaux ».

Cet Olympien estime par ailleurs que « des manifestations similaires ne seraient pas bonnes pour l’image du CIO et pourraient nous conduire à des retards sans fin lors de la construction des infrastructures ».

* L’auteur ayant souhaité conserver l’anonymat, un pseudonyme a été utilisé pour permettre la publication de son témoignage.
Illustration : Crédits – Istanbul 2020