Sotchi 2014 : “Les Jeux de l’excès”

Hier, la chaîne de télévision BFM Business consacrait un reportage relatif à la préparation des Jeux Olympiques de Sotchi 2014 qui s’ouvriront le 07 février prochain, dans le cadre de son émission “Les Décodeurs de l’Éco”.

Sochi 2014 - Les Jeux de l'excès

Lieu de villégiature de Staline et de repos pour Brejnev, la station balnéaire du Caucase accueille régulièrement le Président Vladimir Poutine qui y possède une résidence.

Désignée en 2007, Ville Hôte des Jeux Olympiques d’hiver, Sotchi a depuis entrepris une métamorphose de grande ampleur.

Car la ville de 370 000 habitants ne possédait aucune infrastructure sportive ou logistique capable d’accueillir un événement comme les JO.

De fait, 200 kilomètres de voies de chemin de fer ont été aménagées, 400 kilomètres de routes, un aéroport, deux gares ferroviaires, sans oublier l’édification de 77 ponts et 12 tunnels, mais aussi un Village des Athlètes et un Parc Olympique ultra-compact.

Cet investissement colossal a eu un coût et non des moindres. Ces “travaux herculéens” selon Jean-Claude Killy, président de la Commission de coordination de Sotchi 2014, ont en effet coûté plus de 36 milliards d’euros. Ce montant est un record pour une édition olympique – Jeux d’été et hiver confondus – dépassant celui d’Athènes (au moins 10 milliards d’euros), Pékin (au moins 26 milliards d’euros) et Londres (au moins 12 milliards d’euros).

Sochi 2014 - Parc Olympique - nuit

Mais selon les opposants au Président russe, les fonds alloués aux Jeux auraient connu d’importants détournements à hauteur de 20 milliards d’euros, sans omettre les difficultés rencontrées par les grandes entreprises du pays. A l’image de Serbank (1,8 milliard d’euros) ou Rusal (1,5 milliard d’euros), les principales multinationales russes ont été mises à contribution pour financer l’organisation de l’événement olympique, de même que les contribuables russes.

Cette mobilisation nationale aurait permis, selon Benaouda Abdeddaïm, éditorialiste sur BFM Business, à Vladimir Poutine de “reformater la classe économique qui tient les règles du pays”.

Pour Marie Mendras, spécialiste de la Russie et professeur à Science Po Paris, “la facture totale sera sans doute plus élevée que les 36 milliards qui ont été annoncés par les autorités officielles. J’espère donc que les quelques journalistes indépendants qui pourront se rendre sur place” seront en mesure d’enquêter.

Selon elle, cette somme dépensée ne devrait avoir “aucune rentabilité” après les Jeux : “Vous imaginez les riches russes qui viennent dans nos Alpes depuis plus de 20 ans vont venir dans ces nouvelles stations plutôt qu’à Megève et Courchevel ?”

Mais au-delà de la question des dépenses se pose celle de la corruption. Alors que Jean-Claude Killy a récemment estimé que “ni la Russie, ni le CIO n’ont inventé la corruption car c’est dans la nature humaine”, Marie Mendras pense que l’économie russe “étant une économie de rente, cela favorise le clientélisme et la corruption”. Selon elle, les investisseurs russes étaient “heureux de la désignation de Sotchi au moment où l’économie avait une certaine croissance. Depuis, on a une dégradation”.

Plus grand événement de l’histoire post-soviétique en Russie, les Jeux Olympiques de Sotchi doivent être une vitrine de la puissance de Moscou sur la scène régionale et internationale. Dès lors, rien n’est trop beau – trop grand – pour satisfaire les désidératas de Vladimir Poutine, artisan de la candidature en 2007.

C’est notamment pour cela que la flamme olympique a fait un récent détour dans l’Espace pendant plus d’une heure. Une opération dont le coût n’a pas été dévoilé mais qui a assuré à Sotchi 2014 une communication exceptionnelle.

Sochi 2014 - Vladimir Poutine

C’est aussi pour offrir au monde un gigantesque spectacle sans contestations de masse, que Vladimir Poutine a souhaité l’octroi d’un budget record pour la sécurité. Plus de 1,4 milliard d’euros et 40 000 policiers et soldats ont ainsi été mobilisés pour pallier aux risques terroristes notamment.

Comme l’explique Marie Mendras, pour les JO il y a “un déplacement des forces de police des régions avoisinantes vers Sotchi” depuis maintenant plusieurs mois, ce qui fragilise certains territoires limitrophes, comme par exemple la ville de Volgograd récemment frappée par deux attentats en moins de 48 heures.

Selon la chercheuse, “il y a des attentats tous les jours dans les petites régions du Caucase”, rappelant par ailleurs, qu’en “1864, il y a eu un massacre de Circassiens à l’époque tsariste”.

Les Jeux de Sotchi coïncideront de fait avec les 150 ans de ce que les Circassiens “considèrent comme un génocide”.

Marie Mendras aborde aussi la thématique sociale avec le déplacement de populations et en particuliers des travailleurs en provenance des anciennes républiques soviétiques, et ce, dans des conditions de “maltraitance avec des contrats illégaux et des accidents de travail dont on ne peut chiffrer le nombre”.

Toujours selon la chercheuse au CNRS, le “Comité International Olympique [a certes] validé l’attribution des Jeux à Sotchi en 2007, mais il ne l’aurait peut être pas fait après la guerre russe contre la Géorgie en août 2008”.

A ce moment-là, le pouvoir central avait décidé de contrer la Géorgie concernant le contrôle de la région limitrophe de Sotchi, l’Abkhazie.

Mais outre l’aspect diplomatique, le CIO aurait aussi pu prendre en compte, la dégradation économique russe après 2008. Ainsi, “le contexte économique n’est plus aussi favorable qu’au milieu des années 2000. Aujourd’hui, la croissance de la Russie tourne autour de 1%” selon Marie Mendras.

Sochi 2014 - J50

Pour la spécialiste de la Russie, du point de vue logistique, les “choses vont encore être très complexes durant les Jeux”. Néanmoins, Patrick Abadi, directeur exécutif du groupe ATOS estime que “tout fonctionne” à un peu plus d’un mois des Jeux, notamment dans le domaine de la lutte contre la cybercriminalité.

Patrick Abadi a ainsi expliqué que “depuis les Jeux de Salt Lake City en 2002 et les attentats du 11 septembre 2001, nous avons développé un système d’alerte qui nous permet de voir, non seulement des attaques mais également des erreurs humaines” au niveau de l’affichage des résultats par exemple.

Dans le cas précis de Sotchi 2014, ATOS a “simulé plusieurs cas d’anomalies” afin de préparer au mieux l’organisation des Jeux. Les “résultats des compétitions seront dupliqués quatre fois afin de ne pas perdre la moindre donnée”.

Il faut dire que les échanges numériques et électroniques sont particulièrement nombreux à l’occasion d’un événement de ce type. “Pour vous donner un exemple, nous avions 16 millions de données à traiter par jour, c’est-à-dire plus de 200 événements par seconde.

Et parmi les 250 millions de données sur l’ensemble des Jeux de Londres 2012, il fallait être capable d’identifier les 300 à 400 événements qui pouvaient mettre en danger la sécurité” des JO selon Patrick Abadi.

Ne “pouvant pas communiquer sur le montant du contrat” du fait de son partenariat avec le CIO, ATOS a tout de même indiqué qu’il aurait en charge, quelques “10 000 ordinateurs, 150 000 accréditations et 3 000 personnes dont 1 000 volontaires” durant les JO.

En marge du dispositif mis en place par ATOS, les autorités russes ont également prévu de surveiller les communications téléphoniques et les échanges numériques. D’ailleurs, pour Marie Mendras, cela constitue “l’envers du décor olympique avec l’intervention du FSB – ex-KGB – qui contrôlera ce qui se passera à Sotchi”.

ATOS, qui a déjà une grande expérience dans le domaine sportif avec la gestion de “plus de 100 événements dans le monde”, ne sera pas la seule entreprise française présente à Sotchi. La filiale de GDF-Suez, Cofely Ineo a ainsi décroché le contrat pour la mise en lumière des Cérémonies olympiques et La Compagnie des Alpes sera chargée de la gestion d’une partie des pistes de ski pour les 25 prochaines années.

Sotchi 2014 - Moscou - Kremlin

Évidemment, la question de l’héritage olympique reste un élément déterminant de Sotchi 2014. Malgré un Parc Olympique ultra-compact, ce dernier ne devrait pas rencontrer d’événements sportifs majeurs avant l’organisation de la Coupe du Monde de football en 2018.

Dès lors, le retour sur investissement sera-t-il perceptible pour les populations concernées ?

Rien n’est moins sûr selon Marie Mendras. Selon elle, “on voit de manière macro-économique les Jeux comme un bénéfice pour le territoire mais au niveau local, ça ne sera pas le cas pour les populations du Caucase”.

Illustrations : Crédits – Sotchi 2014

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