Interview : « La dernière construction d’un bassin olympique de grande capacité remonte aux Jeux de 1924 ! »

A l’heure où les Championnats d’Europe de natation débutent à Berlin (Allemagne), Louis-Frédéric Doyez, Directeur Général de la Fédération Française de Natation (FFN) a accepté de répondre en exclusivité aux questions de « Sport & Société ».

Louis Frédéric Doyez - FFN

Natif de Laon (02) où il est nageur et poloiste, Louis-Frédéric Doyez prend ses premières responsabilités associatives en tant que Président du club de natation de Laon (1999-2005), puis Président du Comité Départemental de Natation de l’Aisne (2004-2008).

Il suit par ailleurs une formation universitaire juridique (Maîtrise Ide Droit Public interne et DEA de Droit Public International)  et se rapproche du Laboratoire de Droit du Sport de Dijon en 2000.

Cette même année, il est embauché par la Fédération Française dans le cadre du service juridique fédéral (2000-2002) et participe notamment  au sein du Conseil Social du Mouvement Sportif à l’écriture de la Convention Collective des Métiers du Sport. En 2002, en plus de ses responsabilités juridiques, il prend aussi en charge la Gestion des Ressources Humaines au sein de la FFN, avant d’accéder à ses fonctions actuelles de Directeur Général en 2005.

Sollicité par le Président de la Fédération Française, il contribue à l’écriture du projet fédéral (2004-2008), projet qui sera étendu jusqu’en 2012.

Initiateur de manifestations éducatives et ludiques comme « La Nuit de l’Eau », événement annuel populaire et solidaire crée en 2006 en partenariat avec l’UNICEF autour de plus de 200 sites répartis sur l’ensemble du territoire national, Louis-Frédéric Doyez a également initié la création et la pérennisation de rencontres sportives telles que l’Open EDF à la Croix Catelan (Paris XVIe) ou l’Open Make Up For Ever de natation synchronisée à Montreuil.

Fort de son expérience et de sa connaissance des rouages des institutions de la natation, ce quarantenaire responsable a récemment créé avec ses homologues étrangers, l’Association des Fédérations Francophones de Natation (AFFN) dans laquelle il prend la mission de Secrétaire Général.

Centre Aquatique d'Aubervilliers - projet de Chaix et Morel

– Dans le cadre de la candidature olympique et paralympique de « Paris 2012 », la France avait développé l’idée de construire un Centre Aquatique d’envergure internationale, à Aubervilliers. Toutefois, près de dix ans après la défaite parisienne, ce projet n’a pas vu le jour.

Qu’en est-il aujourd’hui ?

Les raisons d’absence d’avancée significative sur ce dossier sont nombreuses et sont une véritable démonstration de ce qu’il ne faut pas faire pour faire progresser des dossiers d’envergure tels que ceux que vous évoquez.
J’ai toujours beaucoup de déplaisir à l’expliquer, mais l’immobilisme de ce dossier est tout sauf le fruit du hasard.

Dans une vision totalement optimiste, on pourrait presque se féliciter au final que rien ne soit sorti de terre tant le projet initial a toujours eu besoin d’être adapté, voire revu.

Il y a aussi un décalage fort entre les déclarations politiques et la mise en œuvre d’une vraie volonté sur un projet adapté aux exigences du haut-niveau et d’une exploitation au service d’un territoire et d’une population.
Le concept d’héritage s’impose très doucement. Mais cela n’a jamais vraiment été le cas sur ce dossier. Quand la Fédération l’évoquait, il lui a même été parfois répondu que cela n’était pas de sa compétence, ses affaires.

L’absence de concertation entre concepteurs, exploitants et utilisateurs – à l’instar de l’actualité autour de la rénovation et désormais de l’exploitation du Stade Vélodrome – démontre la difficulté de donner à ce type d’équipements la pleine mesure de leur capacité structurante et d’animations territoriales.

Pour ce qui concerne le dossier d’un grand équipement aquatique francilien, la Fédération vient d’interroger à nouveau le territoire concerné, Plaine Commune, pour savoir si elle abandonnait officiellement le projet pour le cas échéant passer officiellement à autre chose et initier une nouvelle procédure.
Cette dernière vient de nous répondre – il y a moins de 15 jours – qu’elle allait solliciter à nouveau la Ministre pour tenter de relancer ce projet.

La Fédération est volontariste et combative. Sur ce dossier pourtant, nous sommes un peu découragés et attendons la prochaine échéance pour défendre à nouveau notre approche de ce bâtiment qui doit être un modèle économique, écologique et d’animation sociale autour du développement et de la promotion des activités de la natation.

– Faute d’un tel équipement, la France n’a pas accueilli de grandes compétitions continentales ou internationales en matière de natation depuis 1987. Au regard des performances des nageuses et nageurs tricolores, la Fédération Internationale n’est-elle pas critique à l’égard des autorités françaises ?

Nous avons organisé en 2012 à Chartres des Championnats d’Europe de Natation 25m. Ce n’est pas rien. Cela démontre d’abord notre volonté et notre capacité à exister sur la scène internationale. Nous avons aussi démontré que nous avions les compétences internes pour organiser de tels évènements, que nous avons le soutien populaire et médiatique et que nous demeurons une natation performante. Presque tous les ingrédients sont donc réunis… Mais avec ce type de compétitions, nous sommes au maximum de ce que nous pouvons en effet faire en France, au regard des structures pérennes existantes.

Cela nuit considérablement à notre image au niveau international. Les instances européennes et mondiales et les autres pays ne comprennent pas comment la France, avec son niveau de pratique et son nombre de pratiquants, ne peut pas organiser de tels événements et accueillir ses homologues. On nous renvoie ainsi parfois l’image de mauvais partenaire, fermé sur lui-même, ne prenant pas sa logique place dans la solidarité et la géopolitique internationales. Ainsi, nos homologues étrangers ne nous croient pas quand nous affirmons que nous n’avons pas les moyens. « Ce n’est pas possible, disent-ils, la France est un grand pays. Elle a la capacité d’organiser de grandes manifestations ; cela est fait dans les autres sports ». Il est alors difficile d’expliquer notre retard.

Pourtant la dernière construction d’un bassin olympique de grande capacité, notamment en Ile-de-France, remonte bien aux Jeux Olympiques de 1924 ! Rome a conservé les équipements de 1960, Moscou ceux de 1980. Ils les ont fait évoluer. Des pays émergents sans aucune pratique de la natation ont des grands ensembles. Nous, nous avons notre piscine de 1924, rénové en 1970… Et nous avons donc surtout de la honte, de la gêne à le constater, l’expliquer…

Centre Aquatique - projet de Paris 2012

– Actuellement, le Mouvement Sportif français, sous l’impulsion du Comité National Olympique et Sportif Français (CNOSF) et du Comité Français du Sport International (CFSI), mène une réflexion concernant une éventuelle candidature olympique de la France aux Jeux d’été de 2024.

Quelle est l’approche de la Fédération Française de Natation sur cette question ?

La Fédération Française de Natation et notamment son Président, Monsieur Francis Luyce, défendent sans aucune hésitation cette candidature. Depuis l’origine et malgré les échecs successifs. Ces échecs ont été amers pour tout le monde. Aucun acteur sportif n’aime et n’est là pour perdre. Tomber et se relever. On ne gagne pas avec la peur de perdre. On gagne en réunissant les conditions de la réussite.

Les conditions de la réussite sont aujourd’hui de croire, et de rassembler, sur un tel projet. Un projet de société. Pas uniquement un projet sportif. Le sport est toujours un levier pour s’élever. Il s’agit ici d’additionner toutes les vertus du sport, au bénéfice de toutes les populations. Permettre d’accentuer la culture sportive du pays autour du plaisir, de la convivialité, du lien social, et de la performance. La performance est diverse, à plusieurs niveaux. Le message des Jeux Olympiques, c’est celui-là. Le projet olympique, c’est celui d’un pays audacieux, innovant, actif, conquérant et ouvert.

Comment ne pas avoir envie pour son pays d’une telle stimulation ?

– Depuis les élections municipales de mars dernier, la nouvelle Maire de Paris, Anne Hidalgo, se montre particulièrement prudente voire même hostile à une candidature de la capitale, arguant notamment du coût d’une telle initiative.

Selon vous, qu’est-ce qui explique cette réticence ?

Madame Hidalgo est dans son rôle de Maire de Paris quand elle alerte sur le financement d’un tel projet et le coût que cela induirait pour sa ville et ses habitants. Les enjeux sont en effet au-delà d’une dimension locale. C’est nécessaire qu’il y ait des personnes qui soient un peu en recul et qui développent une analyse froide, voire hostile. Cela va alimenter le débat et contribuer à démontrer que ce projet n’est pas juste une lubie d’amis sportifs.

Le positionnement de la Maire de Paris permet d’envisager toutes les questions et freins liés à une telle candidature. Cela doit être fait.
Au-delà de cette posture initiale qui sera en partie dépassée, je suis sûr que toutes les bonnes volontés s’additionneront au final pour porter une candidature qui sera de fait totalement rigoureuse et partagée.

Chartres 2012 - FFN

– Depuis une dizaine d’années et l’éclosion d’une génération emmenée notamment par Laure Manaudou aux JO 2004, la natation française enregistre des performances qui en font l’une des meilleures écoles à l’échelle mondiale.

Quels sont les principaux atouts de la France et les apports de la FFN pour parvenir à un tel résultat ?

Cette « génération dorée » est née d’une démarche longue, et totale. Cette dernière remonte aux débuts des années 2000, a évolué, s’est adaptée au fil des années. Il n’y a bien sûr pas de recettes toutes faites. Mais la réunion décidée de beaucoup d’ingrédients.

Il y a d’abord eu des dirigeants et des techniciens avec des ambitions fortes, voire démesurées pour l’époque, et une vision précise du chemin à parcourir pour y parvenir. Des sportifs et des entraîneurs investis, de talent. Et une mobilisation générale autour de la performance qui a concerné tous les secteurs liés à son émergence. Tout a été organisé et décidé pour la performance, la très haute performance.

L’exigence, la répétition des efforts au plus haut niveau, l’émulation collective, la recherche et le développement des parties techniques nagées et non nagées (plongeons, virages, reprises de nages…), la préparation physique, l’approche psychologique et mentale, la logistique des stages et des grands événements, la place des partenaires institutionnelles, économiques et des médias : tout a été optimisé et structuré pour accompagner et « challenger » ceux qui s’engageaient dans une démarche vers le plus haut niveau. Les entraîneurs, les nageurs ont d’abord été ébranlés puis ils ont vu qu’ils étaient soutenus, encouragés, accompagnés. Ils se sont décomplexés, ont osé, ont échangé. Des binômes entraîneurs-nageurs ont montré qu’il était possible de réussir en France.

La conjonction de tous ses éléments qui ne relève pas que du hasard a permis de vivre le cycle historique actuel, débuté il y a tout juste 10 ans lors des Jeux olympiques d’Athènes 2004 et la découverte pour le grand public de Laure Manaudou.

– A la fin du mois d’août 2014, Berlin (Allemagne) organise les Championnats d’Europe de natation. Quel est l’objectif affiché par la Fédération Française concernant les nageurs engagés dans cette compétition ?

Nous sommes en plein milieu de l’olympiade : Londres 2012 est déjà loin, bon nombre de nageurs d’alors ont pris leur retraite sportive (Laure Manaudou, Clément Lefert, Amaury Leveaux, Alain Bernard, Hugues Dubosc,… et désormais Camille Muffat – même si je crois qu’elle n’a peut-être pas dit son dernier mot…- ). Rio 2016 se rapproche avec des champions déjà confirmés : Yannick Agnel, Florent Manaudou, Jérémy Stravius, Fabien Gilot, Grégory Mallet,…

D’autres comme Charlotte Bonnet ou Medhi Metella peuvent – doivent – se révéler complétement. Comme dans chaque olympiade, il y a un changement de génération, et cela créé quelques incertitudes. Lorsque l’on est au plus haut, on craint toujours de redescendre, et de décevoir.

Mais il faut d’abord nous souvenir que ce qui a été récemment vécu était de l’ordre de l’exceptionnel et que le jeu de la comparaison comporte toujours des excès et des limites. De plus, je me souviens qu’après 2004 et Laure Manaudou, il a été annoncé un léger creux… Puis il y a eu en 2008, Alain Bernard et ses copains à Pékin. Il apparaissait alors difficile de faire mieux… Et puis il y a eu les 7 médailles de Londres 2012 dont quatre en or avec le relais 4x100m NL, Camille Muffat, Yannick Agnel et Florent Manaudou ! Alors, on verra bien la suite…

Personne ne sait de quoi demain sera fait.

La natation française n’est en tout cas pas assoupie sur ses lauriers. Elle travaille, elle est combative, pas rassasiée. Elle « ne lâchera rien » avec ses forces actuelles, et celles à venir.
Par ailleurs, ce n’est pas mon rôle de jouer les pronostiqueurs. Notre mission est – à minima – de rentrer sans aucun regret dans les bagages.

Logo FFN

– Après des années de haut niveau, les sportifs – et parmi eux les nageurs – prennent leur retraite professionnelle. Quelle est la politique adoptée par la FFN en matière de suivi et de reconversion des athlètes ?

Cette question centrale a beaucoup évolué ces derniers temps avec la médiatisation et la reconnaissance des nageuses et nageurs. Aujourd’hui, pour les meilleurs, ce sont des professionnels et leur image leur permet de choisir a posteriori une reconversion qui leur correspond. Il existe ainsi de très bons exemples comme Alain Bernard qui multiplie les initiatives et les partenariats économiques ou Clément Lefert qui est désormais Trader à Londres. D’autres chemins paraissent plus ardus lorsque les athlètes, malgré nos efforts, ne parviennent pas à anticiper sérieusement l’après. Il convient alors de tenter de rattraper le retard. Cela induit préalablement que chacun assume ses responsabilités.

Les évolutions législatives récentes sur le statut de l’athlète de Haut niveau sont par ailleurs très appréciables.

D’une manière générale, de nombreux dispositifs et aides existent. On peut toujours améliorer les choses. Mais ceux qui sollicitent, recherchent et s’investissent, trouvent toujours des solutions, avec ou sans nous. Par contre, le sportif en activité qui repousse systématiquement la question et qui n’a pas un entourage immédiat vigilant, voire contraignant, se retrouve immanquablement démuni à l’issue de sa carrière. Il n’est jamais simple pour un athlète d’abandonner un peu d’insouciance et/ou de concentration dans son quotidien pour construire les fondements de son futur.

On n’évite donc pas certains réveils brutaux. Chacun a par ailleurs son tempérament et son parcours propres. Le plus difficile est d’ailleurs souvent de détecter qu’une personne a besoin de notre soutien, notre accompagnement car un athlète donne toujours un peu le change et ne « s’abaisse pas à demander », notamment à sa Fédération. Lorsqu’il s’exprime, souvent avec colère, c’est qu’il est parfois trop tard et qu’il en veut déjà à beaucoup de monde, et peut-être d’abord à lui-même. Nous devons éviter ces situations et la proximité avec les athlètes et leurs entraineurs est une mission forte de la Direction Technique Nationale.

– Récemment, le nageur australien et légende de la natation mondiale, Ian Thorpe, a levé le voile sur son homosexualité. Quel regard portez-vous sur ce témoignage ? Peut-il permettre de contribuer à un changement de mentalité dans le sport ?

Je regrette surtout que ce type de questions fasse encore débat et qu’il faille prendre la parole sur de tels sujets.

D’une part, le sport est une école de tolérance, d’échanges et d’épanouissement. Ce ne sont pas que des mots d’idéalistes, ce sont des principes en action sur le terrain, dans de nombreux clubs sportifs. Évoquer un nécessaire « changement de mentalité dans le sport » est donc à nuancer.

D’autre part, l’orientation sexuelle des individus relève de l’ordre intime et ce serait bien que cet intime soit davantage préservé et respecté. Il ne devrait pas être nécessaire d’exhiber, de revendiquer, d’affirmer – si ce n’est pour en sourire au sein et en dehors de la « tribu » – telle ou telle appartenance.

L’utilisation qui est souvent faite des réseaux sociaux démontre combien l’impudeur et le narcissisme ont repoussé ces limites de l’intime, de la pudeur… et du ridicule !

Un chaleureux remerciement à Louis-Frédéric Doyez pour la mise à disposition des photographies (à l’exception de la troisième qui est issue du dossier de candidature de « Paris 2012 »).

24 pensées

  1. Excellente réflexion à mettre en application dans les clubs en particulier sur le nécessaire soutien de l’entourage du sportif à tous les niveaux. La réponse à la question sur Ian Thorpe me plait beaucoup.
    Un seul regret : une relecture trop rapide laissant quelques « coquilles ».

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