Le CIO face à l’un des plus grands défis de son histoire

En actant cette semaine le report des Jeux de Tokyo 2020 d’ici l’été 2021, le Comité International Olympique (CIO) s’est engagé – avec l’ensemble des parties au projet – dans un chantier titanesque sans précédent. Les discussions vont à présent se poursuivre afin de statuer sur les modalités de mise en œuvre d’une telle entreprise, ainsi que sur la planification des nouvelles dates d’organisation de l’événement.

Thomas Bach, Président du Comité International Olympique et, à ce titre, acteur majeur et déterminant dans la gestion de la crise liée au Coronavirus et au report des Jeux d’été de Tokyo 2020 (Crédits – CIO / Greg Martin)

Véritable mastodonte organisationnel et logistique, les Jeux Olympiques et Paralympiques sont déjà, en temps normal, un défi aux multiples facettes pour le territoire qui s’est vu confier l’organisation de l’événement.

Si l’on ajoute à cela un contexte singulier de crise sanitaire mondiale, la tenue de pareille manifestation constitue un challenge supplémentaire que seule une institution comme le CIO est en mesure de relever, en partenariat avec ses alliés de l’Olympiade.

Il faut dire que les Jeux de Tokyo avaient été élevés au rang de symbole par les autorités japonaises. Un symbole de la reconstruction du pays après le séisme et le tsunami du printemps 2011. Un symbole d’unité entre les peuples aussi. Dès lors, les organisateurs avaient choisi de mettre les petits plats dans les grands pour accueillir le monde dans des conditions optimales à l’été 2020.

Déjà, lors de la candidature aux Jeux de 2016, la capitale du Japon avait valorisé un projet bâti autour des sites hérités des Jeux de 1964 – les premiers sur le sol asiatique – avec l’ajout d’infrastructures dans une zone délimitée de la Baie de Tokyo. Un supplément d’âme avait néanmoins manqué à la candidature nippone à l’époque, notamment par rapport au dossier présenté par Rio de Janeiro (Brésil) : le soutien populaire. La candidature pour 2020 avait donc repris les fondamentaux de celle de 2016, tout en améliorant la communication nationale et locale et en faisant des Jeux une entreprise capable de démontrer au monde entier la force de résilience du Japon face à l’adversité.

Mais une fois l’attribution des Jeux effectuée par le CIO, des aléas avaient perturbé, de façon régulière, la mise en œuvre des différents chantiers, sans jamais atteindre la motivation et la détermination des autorités et des organisateurs.

Aux prémices de ces chantiers, la construction du Stade Olympique de Tokyo – sur les fondations du Stade National qui avait accueilli les Jeux en 1964 – avait ainsi soulevé moult polémiques.

L’architecte alors choisie, avant même la validation du projet par l’institution de Lausanne (Suisse), avait été la cible de critiques parfois acerbes. Zaha Hadid, à l’origine du Centre Aquatique des Jeux de Londres 2012, avait répondu par l’audace d’un concept aux lignes résolument modernes pour symboliser un Japon en quête perpétuelle de renouveau. Les opposants avaient à l’inverse souligné la lourdeur budgétaire dudit concept, même si le manque de main d’œuvre au Japon et les normes sismiques imposent immanquablement un surcoût prévisionnel.

Après tergiversations, annulation du projet initialement sélectionné et refonte de la procédure architecturale, les autorités s’étaient in fine tournés vers un autre architecte, nippon celui-là, en la personne de Kengo Kuma. En lieu et place du projet futuriste de son homologue irako-britannique, Kengo Kuma a alors développé un concept basé sur le développement durable et une certaine sobriété architecturale et une jauge de spectateurs plus abordable.

Outre les polémiques liées au Stade Olympique, les organisateurs de Tokyo 2020 ont également dû affronter les tumultes du processus de sélection des emblèmes olympiques et paralympiques. Après avoir fait un premier choix accusé de plagiat, le Comité d’Organisation (TOCOG) avait en effet été contraint de remettre à plat la procédure pour sélectionner de nouveaux emblèmes.

Les critiques se sont par ailleurs multipliées au cours des sept dernières années en ce qui concerne le coût d’organisation des Jeux, avec une facture jugée trop dispendieuse et la nécessité de revoir la copie pour plusieurs sites inclus dans le dispositif. En lien avec la Commission de Coordination du CIO présidée par John Coates, et avec l’appui des autorités gouvernementales locales et nationales, Tokyo 2020 avait réussi à contenir au mieux les dépenses pour finalement établir un budget d’organisation à 5,6 milliards de dollars à fin 2019, et des investissements de la part des pouvoirs publics à hauteur de 7 milliards de dollars.

Vue intérieure du Stade Olympique de Tokyo (Crédits – Japan Sport Council)

Aujourd’hui, le pays – où tout avait donc été planifié pour recevoir les millions de spectateurs et des milliers d’athlètes – se retrouve dans une situation inédite.

Jamais auparavant les Jeux n’avaient été reportés. Il y avait eu des annulations – en 1916, 1940 et 1944 – avec les conflits mondiaux que nous connaissons, mais à aucun moment un report. Et si tel avait été le cas dans le passé, les organisateurs n’auraient certainement pas eu à relever les mêmes défis que Tokyo 2020, ou tout du moins, pas dans le même degré.

En effet, afin de répondre à ceux qui véhiculent la critique incessante et quelque peu erronée vis-à-vis du CIO, il paraît essentiel de rappeler certaines données chiffrées.

Tokyo 2020 est ni plus ni moins que l’organisation du plus grand événement de la planète, avec pas moins de 10 500 athlètes engagés dans les Jeux Olympiques, plus de 4 200 durant les Jeux Paralympiques, sans compter quelques 80 000 volontaires recrutés pour assurer le bon fonctionnement des Jeux.

A cela s’ajoute aussi la participation de sponsors avec, dans le cas de l’Olympiade nippone, un niveau sans précédent de partenaires et de revenus engendrés. Pour preuve, avec plus de 75 sponsors – dont 65 issus du programme national – Tokyo 2020 est parvenu à récolter plus de 3,3 milliards de dollars, une somme des plus conséquentes qu’aucune autre Ville Hôte par le passé n’avait atteint.

Il faut en outre tenir compte du nombre de sites prévus pour les Jeux de 2020, soit 43 installations pour la partie olympique et, mutualisation utile des moyens, 19 de ces mêmes installations pour la partie paralympique. A ces équipements sportifs, il convient par ailleurs de compléter avec la construction et l’utilisation du Village des Athlètes et des aménagements réalisés pour faire de ce site, dans la Baie de Tokyo, un lieu de vie détaché de toutes pressions pour les sportifs, un lieu pour se ressourcer avant de se rendre sur le terrain des compétitions.

In fine, les organisateurs étaient parvenus à livrer avant le printemps, l’ensemble des huit nouveaux sites sportifs construits dans la perspective des Jeux, dont le Stade Olympique au parcours tumultueux qui l’a notamment privé de la Coupe du Monde de Rugby 2019. Ne manquait plus que la tenue des test eventsdont une partie avait déjà eu lieu – pour parfaire un dispositif global maîtrisé.

Vue des tribunes du Stade Olympique de Tokyo (Crédits – Japan Sport Council)

Pour le CIO, le partenaire nippon a offert une copie de grande qualité et s’apprêtait à livrer, dans l’hospitalité qui fait la renommée des Japonais, des Jeux avec enthousiasme et dynamisme. C’était donc sans compter sur la propagation de l’épidémie de Covid-19.

L’institution a alors été dans l’obligation de revoir les plans initialement prévus et d’envisager des solutions alternatives, en écartant dès le départ néanmoins, l’idée d’une annulation pure et simple.

Aussi, un peu à la manière de sa gestion de l’épineux dossier de double attribution des Jeux 2024-2028, le CIO s’est à nouveau appliqué ce que l’on peut désormais considérer comme une sorte de devise : la bonne décision, au bon moment.

A cela, il serait pertinent de rajouter que la décision relative au report des Jeux de Tokyo 2020 a été prise au terme d’un processus mené en concertation avec l’ensemble des parties, sans précipitation vu l’ampleur de la tâche.

Contrairement à ce que certains ont pu écrire au cours des dernières quarante-huit heures, et même avant, le CIO n’a d’ailleurs pas perdu la main sur le dossier des Jeux. Mieux, il a prouvé qu’il était en capacité de coopérer avec une pluralité de partenaires, bien loin de l’image d’institution déconnectée qui reste encore attachée au CIO, même si ce dernier – la perfection n’existant pas – peut faire des erreurs d’appréciation.

Comme l’a ainsi rappelé Thomas Bach, ce mercredi 25 mars, lors d’une téléconférence avec les médias du monde entier :

En raison de l’ampleur de la pandémie et de son intensification, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) a tiré, lundi, la sonnette d’alarme au niveau mondial, indiquant que la propagation du virus s’accélérait et qu’elle voulait en discuter avec les dirigeants du G20. Nous avons alors décidé de programmer ce jour un entretien téléphonique entre le Premier Ministre japonais et moi.

Durant cet appel, nous sommes convenus, compte-tenu des circonstances, que les Jeux de la XXXIIe Olympiade à Tokyo et les Jeux Paralympiques devaient être reprogrammés après 2020 mais au plus tard à l’été 2021, et ce afin de préserver la santé des athlètes, de toutes les personnes associées à la préparation des Jeux Olympiques et des membres de la communauté internationale.

[…] Nous avons tous deux formé l’espoir qu’au final, l’année prochaine, les Jeux de Tokyo célébreront l’humanité et sa capacité à avoir surmonté cette crise sanitaire sans précédent. La flamme olympique pourra ainsi être la lumière au bout de ce tunnel obscur dont nous ne connaissons pas la longueur mais dans lequel le monde entier se trouve à l’heure actuelle.

Embrasement d’une vasque à l’arrivée de la flamme olympique de Tokyo 2020 au Japon, vendredi 20 mars 2020 (Crédits – Tokyo 2020 / Erika Shimamoto)

Certes, tout est loin d’être acquis en dépit du choix fait de reporter les Jeux.

De nombreux défis attendent à présent le CIO et les organisateurs, sans compter les autres parties engagées dans le projet. Le vrai travail – intense et qui, comme l’a affirmé Thomas Bach, demandera des sacrifices – débute maintenant.

Cela concernera notamment la réévaluation du calendrier sportif international pour planifier les nouvelles dates des Jeux qui doivent s’intercaler – Jeux Olympiques avec 33 sports représentés et Jeux Paralympiques avec 22 sports inscrits – sur une durée supérieure à un mois. Des Fédérations Internationales comme World Athletics (athlétisme) et la FINA (natation) ont d’ores et déjà fait savoir qu’elles étaient pleinement disposées à travailler avec le CIO et Tokyo 2020 d’une part, et avec les organisateurs des Mondiaux 2021 – prévus respectivement à Eugene (Oregon, États-Unis) et à Fukuoka (Japon) – pour envisager le cas échéant une adaptation calendaire de ces manifestations d’envergure.

Le travail de fond concernera en outre les sites et la capacité de remobiliser ces derniers jusqu’à un an plus tard que le programme initial. Des négociations financières et contractuels devraient ainsi se tenir, certains équipements ayant déjà des accords de concession post-Jeux 2020, avec, là-encore, l’ensemble des acteurs engagés sur chacun des dossiers, site par site.

La question du personnel volontaire se posera aussi, même si Tokyo 2020, comme pour les porteurs sélectionnés pour le relais de la flamme olympique, devrait mettre en place un système pour privilégier les dizaines de milliers de personnes recrutées jusqu’alors. Il devrait en être de même concernant les millions de billets vendus aux spectateurs.

Pour les sponsors des Jeux, le report de ces derniers devrait aussi engendrer des négociations. A ce titre, pour le Programme Olympique Mondial (TOP), certains partenaires devaient connaître le terme de leur engagement avec le CIO en 2020. L’institution aurait toutefois accordé un délai supplémentaire pour permettre de les inclure dans le dispositif des Jeux en 2021. Un engagement gagnant-gagnant en somme.

Afin d’actionner le défi organisationnel et logistique qu’implique le report des Jeux, le CIO a annoncé la création d’un groupe de travail – d’une task force intitulée « Here We Go » – qui réunira l’ensemble des parties et qui supervisera la mise en œuvre des futures décisions.

Lors de la téléconférence tenue hier en milieu de matinée, Thomas Bach a parfaitement résumé l’état des lieux et le défi qui s’ouvre devant les acteurs du projet :

Les Jeux Olympiques sont peut-être l’événement planétaire le plus complexe qui soit ; il est impossible de tout mettre en place en un seul appel téléphonique.

Nous devons faire confiance à la Commission de Coordination qui travaillera de concert non seulement avec les Fédérations Internationales, mais aussi avec de nombreux autres partenaires. C’est un immense défi à relever.

L’aspect financier n’a pas été abordé, parce que le plus important est de protéger les vies humaines ; les considérations d’ordre financier ne sont pas la priorité.

Une façon de renvoyer subtilement dans les cordes les commentateurs estimant que la prise de décision – ou plutôt selon eux la lenteur à acter un report des Jeux – reposait sur des questions strictement financières.

Car avec un tel jugement, c’est oublier la machine de guerre que représente le CIO et la manne financière conséquente dont dispose ce dernier qui, par ailleurs et là-encore face à la négligence de « faux-sachants », peut se permettre de redistribuer une part de ses revenus aux Fédérations Internationales, aux Comités d’Organisation des Jeux, mais encore aux plus de 200 Comités Nationaux Olympiques répartis à travers la planète.

Thomas Bach, Président du Comité International Olympique (Crédits – CIO / Christophe Moratal)

Après cette phase de dialogue, de concertation et de négociation – majeure et primordiale – il sera bien temps de juger l’action du CIO et de son Président dans la gestion de cette crise. Mais en assurant la viabilité des Jeux de 2020, le leader allemand, en poste depuis 2013, a marqué des points en vue de la campagne électorale qui devrait, sauf surprise, le conduire à être candidat à sa propre succession.

Car plus que le chef enfermé dans son bureau du Château de Vidy à Lausanne, Thomas Bach apparaîtra sans doute davantage comme le sauveur – l’un des sauveurs – des Jeux de Tokyo 2020, pour rappel, les premiers de l’histoire à subir un report.

Un point non-négligeable pour les membres du CIO qui éliront le nouveau Président, pour les organisateurs de Tokyo 2020 et pour les partenaires du CIO, même si ces derniers auront aussi à faire des sacrifices dans une période aujourd’hui troublée.

Mais avant de penser à cette échéance électorale, Thomas Bach garde bien sûr toute son énergie et sa concentration sur le report des Jeux. Ainsi qu’il l’a affirmé :

C’est un immense puzzle à assembler et chaque pièce doit y trouver sa place. Si l’on retire une pièce, c’est tout le puzzle qui est compromis. C’est pourquoi tout doit s’emboîter et tout est important.

Je dois dire que je n’envie pas du tout les membres […] du groupe de travail. J’ai été le témoin de leur professionnalisme et de l’abnégation du Comité d’Organisation, qui a fait de Tokyo la ville olympique la mieux préparée qui soit. Je connais le professionnalisme de notre Commission de Coordination et de notre Département des Jeux Olympiques. Je suis convaincu qu’ils sauront relever ce défi avec brio.

Les Jeux n’ont jamais été reportés jusqu’ici. Nous n’avons pas de modèle, mais nous sommes néanmoins persuadés que nous arriverons à assembler un magnifique puzzle et à organiser des Jeux Olympiques extraordinaires.

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