Dopage : En laissant les Fédérations Internationales choisir, le CIO renonce à suspendre la Russie

Ce dimanche, la Commission exécutive du Comité International Olympique (CIO) devait trancher le cas de la Russie et décider si oui ou non elle autorisait les 387 sportifs sélectionnés à participer aux Jeux Olympiques de Rio 2016.

In fine le CIO a fait le choix de laisser les Fédérations Internationales décider à sa place.

Autrement dit, le CIO ne suspend pas le Comité Olympique Russe (ROC) et ses sportifs, mais demande aux Fédérations Internationales de déterminer l’opportunité d’envoyer les différents représentants russes à Rio de Janeiro (Brésil).

(Crédits - CIO)
(Crédits – CIO)

Cette décision illustre la position dans laquelle se trouvait le CIO.

L’institution olympique devait en effet jongler entre la nécessité de garantir des compétitions propres et une égalité de traitement entre les sportifs engagés dans ces compétitions, et l’impératif de ne pas froisser un pays aussi puissant que la Russie sur la scène sportive et diplomatique internationale.

L’institution devait par ailleurs jongler entre le principe de justice individuelle et celui de responsabilité collective.

Dans son communiqué, la Commission exécutive fait savoir que :

« 1 – Le CIO n’acceptera aucune inscription d’un athlète russe aux Jeux Olympiques de Rio 2016 à moins que l’athlète concerné ne puisse réunir les conditions énoncées ci-après :

2 – L’inscription ne sera acceptée par le CIO que si un athlète peut apporter des preuves satisfaisant totalement sa Fédération Internationale (FI) quant aux critères qui suivent :

Les FI, en établissant leur contingent d’athlètes russes admissibles, se référeront aux exigences du Code Mondial Antidopage et aux autres principes convenus lors du Sommet Olympique du 21 juin dernier. En particulier :

  • L’absence de contrôle antidopage positif au niveau national ne peut pas être considéré comme suffisant par les FI,
  • Les FI devront procéder à une analyse du dossier antidopage de chaque athlète, en tenant compte uniquement des contrôles appropriés et fiables effectués au niveau international, des spécificités de son sport et des règles de ce dernier, afin de garantir des conditions de compétition équitables pour tous,
  • Les FI examineront les informations contenues dans le Rapport d’enquête indépendante et à cet égard chercheront à obtenir de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) les noms des athlètes et des Fédérations Nationales impliqués. Aucune personne, athlète ou officiel ni aucune Fédération Nationale impliqués ne pourront être autorisés à participer ou recevoir une accréditation aux Jeux Olympiques,
  • Les FI devront également appliquer leurs règlements respectifs quant aux sanctions à infliger à des Fédérations Nationales entières,

3 – Le ROC n’est pas autorisé à inscrire aux Jeux Olympiques de Rio 2016 un athlète qui aura déjà été sanctionné pour dopage, même s’il a purgé la sanction prononcée à son encontre.

4 – Le CIO n’acceptera d’inscription de la part du ROC que si la FI de l’athlète est satisfaite des preuves apportées quant aux conditions 2 et 3 susmentionnées et si cette inscription est confirmée par un expert de la liste des arbitres du Tribunal Arbitral du Sport (TAS) nommé par un membre du Conseil International de l’Arbitrage en matière de Sport (CIAS), indépendant de toute organisation sportive associée aux Jeux Olympiques de Rio 2016.

5 – L’inscription de tout athlète russe accepté en définitive par le CIO sera subordonnée à un programme rigoureux de contrôles hors compétitions supplémentaires mené en coordination avec la FI correspondante et l’AMA. Toute indisponibilité d’un athlète pour les contrôles effectués dans le cadre de ce programme aboutira au retrait immédiat de son accréditation par le CIO ».

Cette décision est en tous cas un aveu de faiblesse de la part d’une institution qui a fait de la transparence et de la modernisation un véritable slogan, à l’aune de l’Agenda 2020. Surtout, la décision prise par la Commission exécutive est de nature à affaiblir la parole du Président du CIO, Thomas Bach.

Ce dernier, qui prônait jusqu’à présent une politique de tolérance zéro à l’égard des tricheurs et du dopage en général, semble avoir quelque peu reculer sur son argumentaire.

« Les conclusions [du Rapport McLaren] font état d’une atteinte choquante et sans précédent à l’intégrité du sport et des Jeux Olympiques.

En conséquence, le CIO n’hésitera pas à prendre les sanctions les plus sévères qu’il puisse infliger à toute personne ou organisation impliquée » avait ainsi affirmé Thomas Bach, le 18 juillet dernier.

Cérémonie de clôture des Jeux d'hiver de Sotchi 2014 (Crédits - CIO / Matthew Stockman / Getty Images)
Cérémonie de clôture des Jeux d’hiver de Sotchi 2014 (Crédits – CIO / Matthew Stockman / Getty Images)

Mais si le CIO a choisir de ne pas choisir concernant la Russie, il n’en est pas de même pour le cas de l’athlète russe Yulia Stepanova, à l’origine des révélations de dopage organisé.

Cette dernière est en effet exclue des prochains Jeux et ne pourra donc pas participer à la grand messe olympique à l’inverse des sportifs russes, ou tout du moins de ceux qui seront repêchés par les Fédérations Internationales.

« S’il est exact que le témoignage et les déclarations publiques de Madame Stepanova ont apporté une contribution à la protection et à la promotion des athlètes propres, au fair-play, à l’intégrité et à l’authenticité du sport, les dispositions impératives de la Charte Olympique relatives à l’organisation des Jeux Olympiques s’opposent à la reconnaissance d’un statut d’athlète neutre.

De plus, la sanction dont Madame Stepanova a fait l’objet ainsi que les circonstances dans lesquelles elle a dénoncé les pratiques de dopage, qu’elle a elle-même utilisées, ne satisfont pas aux exigences éthiques pour qu’un athlète participe aux Jeux Olympiques » a fait savoir la Commission d’éthique du CIO auprès de la Commission exécutive.

Comble de l’ironie – ou de l’éthique selon certains – l’athlète russe s’est vue offrir une invitation à assister aux Jeux de Rio.

« La Commission exécutive du CIO souhaiterait exprimer sa reconnaissance à Madame Stepanova pour sa contribution à la lutte contre le dopage et à l’intégrité du sport.

Aussi le CIO invite-t-il Madame Stepanova et son mari aux Jeux Olympiques de Rio 2016.

De plus, le CIO est prêt à soutenir Madame Stepanova afin qu’elle poursuive sa carrière sportive et qu’elle puisse éventuellement rejoindre un autre Comité National Olympique » a notamment indiqué le communiqué officiel.

Cette décision illustre pleinement les démons qui rongent encore le CIO, malgré les réformes « CIO 2000 » puis « Agenda 2020 ». L’institution demeure une grande maison soumise aux lois de la politique et de la diplomatie et ce, bien qu’elle se soit toujours protégée derrière le principe de neutralité.

La crédibilité et la parole du CIO sont aujourd’hui clairement – et peut-être durablement – écornées, notamment aux yeux de l’opinion publique, déjà secouée par les organisations onéreuses de Pékin 2008 et surtout de Sotchi 2014.

Vladimir Poutine et son Ministre des Sports, Vitaly Mutko, lors d'un entretien le 16 juin 2014 (Crédits - Présidence de la Fédération de Russie)
Vladimir Poutine et son Ministre des Sports, Vitaly Mutko, lors d’un entretien le 16 juin 2014 (Crédits – Présidence de la Fédération de Russie)

Les réactions de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA) ainsi que celles des Agences Nationales – qui avaient réclamé la suspension pure et simple de la Russie – ne devraient pas tarder à tomber.

Les États-Unis qui, au travers de l’Agence Nationale Antidopage (USADA) et de son Comité Olympique (USOC) avaient demandé des sanctions appropriées, pourraient éventuellement engager un bras de fer avec le CIO et les Fédérations Internationales. Au risque de déclencher une nouvelle tempête au sommet du Mouvement Olympique.

Pas sûr toutefois qu’une telle démarche soit entreprise au moment où les États-Unis sont candidats à l’organisation des JO 2024 avec la ville de Los Angeles.

13 pensées

  1. J’adhère à cette analyse. Le CIO est champion pour afficher de grands et beaux principes, mais quand il s’agit de les mettre effectivement en pratique c’est une autre affaire, et le réalisme le plus froid reprend vite le dessus.
    Il serait temps de réforme en profondeur les institutions sportives internationales, mais on ne voit pas ce qui pourrait les pousser à le faire. L’autonomie du sport a bon dos.
    Colin MIEGE

  2. Il est clair que le CIO, c’est définitivement montré inutile. Croient-ils, qu’avec un énième discours qui sera lu lors de la cérémonie d’ouverture des jeux de Rio sur la non-consommation de produits dopants, Thomas Bach et ses collègues réussiront à convaincre les éventuels tricheurs ? Car leurs non-réactions prouvent bien que la Russie, a une influence plus qu’énorme dans cette institution.

    Est-ce que cela convaincra aussi de futures villes, a se présenter pour l’obtention d’une compétition où il semble encore marqué par le spectre de la corruption? Il faut juste rappeler qu’il s’agit là, d’un des arguments qui reviennent le plus souvent par les anti-JO pour une non-candidature après leurs coûts d’organisation.

    Pour 2024, il semble que les américains, vont quand même pour moi Kévin le payé très cher, car en voulant joué les leaders de contestation sur la « disqualification » des athlètes russes, Vladimir Poutine, par son influence justement, pourra détruire toutes tentatives américaines dans ce secteur-là. Par contre, il est assez étonnant, que les autres comités nationaux candidats pour 2024, soient restés plutôt silencieux, mis à part quelques personnalités (ex : Monsieur Bernard Amsalem).

    1. Exact. Les CNO candidats jouent sans doute la prudence, tout du moins jusqu’à la fin des JO de Rio.
      N’oublions pas non plus « l’investissement » de la France avec la présence de Guy Canivet en qualité de Président de la Commission disciplinaire chargée du cas russe.

      1. Le CIO se contrefiche également des droits de l’homme (Berlin 1936, Moscou 1980, Sarajevo 1984, Beijing 2008, Sotchi 2014, Nanjing 2014, Beijing 2022).

        La liste de ses renoncements et de ses compromissions est longue.

        Avec cette décision concernant la Russie, Bach se positionne en digne héritier de Samaranch et de Rogge. Tout ce qui compte est le show et l’argent.

        La seule chose qui puisse faire revenir le CIO sur sa décision est que les sponsors officiels se retirent les uns après les autres…Mais gageons que cela n’est pas prêt d’arriver.

        Bon courage aux fédérations internationales pour faire le ménage d’ici le 4 août! Je ne suis pas certain que l’IAAF sera imitée par d’autre…

        Maintenant, quel impact à prévoir sur les candidatures à venir? Quelle ville voudra voir son nom accoler à une manifestation de ce genre?

        Pour 2024, les implications pourraient se manifester assez rapidement. La maire de Rome va se trouver renforcer dans sa position et elle pourrait même decider de jeter l’éponge plus vite que prévu. Quant à Los Angeles, sa seule chance résidera peut-être finalement dans l’élection de Donald Trump…Je m’explique…Ce dernier est un admirateur de Poutine et d’ici un an les petites bisbilles autour de ces affaires de dopage seront du passé. La Russie pourrait tout à fait devenir un soutien très précieux pour LA. Par contre si Clinton gagne, LA aura du souci à se faire…

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