Interview – Dennis Pauschinger : « Les Brésiliens vont payer un prix très élevé »

Quelques jours après le vote de la Chambre des Députés brésiliens concernant la procédure de destitution de la Présidente Dilma Rousseff, il apparaissait intéressant de recueillir le témoignage de Dennis Pauschinger.

Déjà interviewé par « Sport & Société » en marge du référendum sur la candidature olympique de Hambourg 2024, cet étudiant-chercheur est spécialisé dans l’étude des modèles globaux de sécurité dans le cadre des grands événements.

Au cours de son cursus, et depuis son engagement dans un programme de Doctorat, Dennis Pauschinger s’est ainsi penché sur la mise en œuvre du programme de sécurité de la Coupe du Monde de football 2014 au Brésil et sur les préparatifs des Jeux de Rio 2016.

Au-delà de cette spécialisation, Dennis Pauschinger est surtout un fin connaisseur du modèle brésilien et ce, après avoir travaillé plusieurs années auprès d’une Organisation Non-Gouvernementale (ONG) chargée du développement d’activités sociales dans trois favelas du sud de São Paulo.

(Crédits - Dennis Pauschinger / Sport & Société)
(Crédits – Dennis Pauschinger / Sport & Société)

Je pense que le Brésil se trouve aujourd’hui dans une situation très difficile. Quand je regardais la retransmission en direct du scrutin de la Chambre Basse, j’ai été profondément préoccupé et, je suis désolé pour le terme, profondément dégouté par les déclarations formulées par la plupart des membres du Congrès, par les personnes qui ont voté pour la destitution de la Présidente. Beaucoup d’entre-eux ont évoqué Dieu, ont été acclamés par leurs familles, ont fait la promotion de leurs propres régions, tout en honorant le militarisme avec des sourires cyniques qui illustrent les temps sombres à venir pour cette jeune démocratie qu’est le Brésil.

Je n’ai pas non plus apprécié les propos tenus à l’encontre de Dilma Rousseff. Certains ont fait preuve de sexisme, ce qui est un scandale en tant que tel. Plus encore, certains ont affirmé que leur vote était un vote contre la corruption et ce, alors même que certains sont profondément impliqués eux-mêmes !

Ces dernières semaines ont en tous cas démontré le trouble dans lequel se trouve le système politique. Des parlementaires ont déclaré que le vote était « pour le Brésil ». Je crains au contraire qu’il ne soit synonyme de retour en arrière vis-à-vis des nombreuses réalisations politiques et sociales du passé.

  • Peut-on parler de « coup d’État institutionnel » comme l’ont dénoncé les partisans de la Présidente ?

Et bien nous devons nous poser des questions très importantes, que beaucoup ont négligé parmi ceux qui ont supporté la procédure de destitution. Depuis les élections d’octobre 2014, l’opposition n’a pas accepté la victoire de Dilma Rousseff et bon nombre d’électeurs de l’opposition non plus.

Parmi les personnes qui défilaient dans les rues du Brésil pour réclamer le départ de la Présidente, une grande majorité était blanche et relativement aisée. Et à côté de cela, ils blâment la Présidente pour la crise économique. Avant les élections déjà, quelques médias brésiliens avaient fortement mené campagne contre la Présidente, et depuis sa réélection, ils contribuent à la déstabilisation du Gouvernement.

Mais il n’y a pas de média public fort et indépendant, et beaucoup ont été dépassés par le scandale de corruption « Petrobras » et les dimensions invisibles de celui-ci. Cependant, nous pouvons affirmer que c’est la première fois dans l’histoire du Brésil qu’autant de responsables politiques sont accusés de corruption. Même des proches de Dilma Rousseff et Lula ont été arrêtés et incarcérés.

Pour répondre à votre question, je ne sais pas si l’expression « coup d’État » sert vraiment à expliquer la situation actuelle, même si elle en est proche.

De toute évidence, il y a une manœuvre politique qui inclus les principaux acteurs ayant demandé la mise en accusation, notamment le Parti du Mouvement Démocratique du Brésil (PMDB) qui faisait partie de l’ancienne coalition gouvernementale et d’autres partis de l’opposition. Ces acteurs font tout ce qu’ils peuvent pour contrôler l’instruction de la procédure de destitution. Je doute que la procédure d’Impeachment ait été déclenchée à cause des accusations contre Dilma Rousseff. Il s’agit plutôt d’un mouvement clair visant l’accession au pouvoir, un mouvement soutenu par les parties les plus conservatrices de la société et par les médias.

Je ne dis pas qu’il ne faut pas critiquer et débattre sur l’action du Président, ni qu’il est interdit de sortir dans la rue et de protester ; non, ce sont des valeurs importantes de la démocratie.

Néanmoins, il est juste que nous examinions très attentivement d’où viennent les motivations. En temps normal, vous attendez les prochaines élections. Bien sûr, si des activités criminelles ou des actions politiques menacent les acquis démocratiques, les citoyens ont le droit de demander du changement.

Toutefois, ce n’est pas le cas avec Dilma Rousseff. Les accusations portées contre elle font clairement partie d’un système dont les pratiques ont été commises par de nombreux responsables politiques durant plusieurs années. Pourquoi cette soudaine remise en question ? Et pourquoi la plupart des députés qui ont voté en faveur de la destitution n’ont pas cité les accusations au cours de leur intervention ?

Lula et Dilma Rousseff (Crédits - Agencia Brasil)
Lula et Dilma Rousseff (Crédits – Agencia Brasil)
  • Selon vous, quel rôle peut avoir l’ancien Président Lula pour tenter le « sauvetage politique » de Dilma Rousseff ou tout du moins le maintien au pouvoir du Parti des Travailleurs (PT) ?

Lula est probablement le leader politique le plus important que le Brésil ait connu au cours des dernières décennies. Que vous le vouliez ou non, cela est indéniable.

Il est donc connu pour sa capacité à rassembler les gens et peut-être est-il un atout pour le Gouvernement ou plus largement pour l’ensemble du pays.

Je suis frappé par la façon dont les gens parlent des faits actuellement. Il semble qu’il y ait, la plupart du temps à Droite, une vraie haine contre le Gouvernement actuel et la Gauche en général. Il y a des gens qui arrivent ainsi avec des arguments étranges tels que « Dilma veut transformer le Brésil en un pays similaire au Venezuela ou à Cuba ». Ceux qui ont suivi la politique brésilienne savent que cela est insensé. Nombreux sont pourtant ceux qui font un parallèle entre les politiques d’aides et de logements sociaux avec les pratiques communistes.

Je ne peux prendre cela au sérieux ; et je pense que ce nous voyons aujourd’hui est le reflet de l’opinion d’une partie de l’élite traditionnelle qui est troublée par le fait que des gens pauvres et noirs puissent aller dans les universités et que les inégalités sociales se réduisent peu à peu.

Mais il y a aussi des gens qui demandent un retour du régime militaire, alors que le pays est déjà fortement militarisé et que beaucoup de personnes – surtout pauvres et noires – vivent sous une surveillance de facto et un régime de contrôle régulier.

Pour revenir à Lula, bien qu’il ait été plus ou moins absent de la scène politique depuis l’arrivée au pouvoir de Dilma Rousseff, son image a certes souffert des scandales, mais il dispose encore d’un fort soutien populaire. Dès lors, il semble évident que – pour le moment – le Parti des Travailleurs a besoin de lui plus que jamais. Savoir si cela est vraiment une bonne chose constitue un autre sujet de discussion.

  • Quel impact peut avoir la crise politique sur Rio de Janeiro, au moment où la ville s’apprête à lancer le compte à rebours des 100 jours avant l’ouverture des Jeux Olympiques ?

Cela dépend beaucoup des prochaines semaines.

Je suis très inquiet de savoir comment la rue va réagir si la destitution de la Présidente est actée par le Sénat. Cependant, comme nous l’avons vu durant la Coupe du Monde, la protestation populaire sera très surveillée et Rio de Janeiro sera transformé en une forteresse militarisée.

Les Jeux Olympiques ont déjà été accompagnée par de nombreuses contradictions : les violations massives des droits humains ; les expulsions de nombreuses familles ; les dépenses budgétaires et les projets onéreux n’ont pas fait de Rio une ville plus sûre, plus intelligente ou un meilleur endroit.

Par ailleurs, le parti politique qui articule le processus de mise en accusation (PMDB), n’est autre que la formation du Maire de Rio et du Gouverneur de l’État de Rio. Mais lors des dernières élections, ce parti était allié avec le PT. Vous voyez donc la complexité de cette situation.

En fin de compte, ce sont les Brésiliens qui vont payer un prix très élevé.

Vous pouvez contacter Dennis Pauschinger sur Twitter @dpauschinger

5 pensées

  1. Il est assez effrayant pour un pays comme celui là de pouvoir régresser aussi rapidement alors que le monde entier depuis 4 ans a plus que jamais les yeux tourner vers vous.

    Il y a fort à parier que le Brésil mettra beaucoup de temps, avant de revoir une compétition de ce type chez lui. Heureusement pour eux que l’organisation des deux plus grandes compétitions sportive se soit dérouler il y a bientôt deux ans et donc cette année.

    Ce que je crains surtout, est lorsque la torche fera ses premiers mètres sur le sol brésilien; certains je pense, voudront comme cela est devenu « normal », utiliser le relais comme défouloir et signe de contestation. Depuis 2008, pas un seul relais (sauf Londres 2012) n’a connu des perturbations sur son parcours national ou international (Pékin). Si cela continue nous risquerions (même si j’exagère), de retrouver la flamme comme avant c’est-à-dire de 1928 à 1932, immédiatement au stade olympique.

    Ce phénomène sera en tout cas un véritable élément pour les 4 candidates aux jeux de 2024, sachant que mise à part les Etats-Unis où les défilés et revendications sont quasi « muselées » (vive la démocratie, hein !! : – ( ), les trois autres pays sont plutôt connus pour leur penchant contestataires. Chose qui fût très mauvais à l’époque pour la regretter Paris 2012. Maintenant les situations du Brésil et des quatre autres nation ne sont presque pas les mêmes.

  2. Un entretien très pertinent, vu de « l’intérieur » qui permet d’avoir un éclairage clair et précis sur la situation politico-sociale réelle du Brésil.

    La jeune démocratie brésilienne montre là toute sa faiblesse. C’est un coup d’état maquillé qui se profile depuis plusieurs mois. Lorsque la population est mécontente de ses dirigeants, elle le fait savoir dans les urnes, comme l’a très bien dit Dennis Pauschinger, fondement même du démocratie assurée.

    Nous assistons à un système complexe (voir illégal?) de déstabilisation politique, à bientôt 100 jours du premier événement sportif mondial, cela est préoccupant. L’image du Brésil fier et triomphant, mettant en avant ses avancées sociales (recul du chômage, création d’une classe moyenne…) est en passe de voler en éclats.

    Les brésiliens risquent une régression démocratique et sociale fulgurante et l’héritage olympique de Rio passera quasi inaperçu dans cette crise majeure qui se profile.

    1. Merci David pour ce commentaire ! Je voulais effectivement donner la parole à quelqu’un qui connaît la société brésilienne et qui a travaillé sur place. Il me paraissait essentiel d’avoir ce témoignage pour clarifier une situation complexe.

      Merci en tous cas à Dennis qui a déjà répondu à mes questions sur un autre sujet et qui se fera un plaisir de revenir ici le moment venu 🙂

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