La justice française enquêterait sur les conditions d’attribution des Jeux de 2016 et 2020

Où s’arrêtera la justice française dans les investigations actuellement menées autour de la Fédération Internationale d’Athlétisme (IAAF) ?

Selon le quotidien britannique « The Guardian », les enquêteurs français auraient élargi leur périmètre d’action. De fait, les dérives d’ores et déjà constatées au sein de l’instance de l’athlétisme mondial ne seraient plus les seuls éléments ciblés par la justice.

L’IAAF reste plus que jamais sous la menace, en particulier en ce qui concerne les conditions d’attribution des Championnats du Monde de 2017, 2019 et 2021. Rien que ça !

Ces éditions, qui ont respectivement été confiées à Londres (Royaume-Uni), Doha (Qatar) et Eugene (Oregon / États-Unis), pourraient donc être impactées par la suite de l’enquête, de quoi fragiliser encore davantage une Fédération Internationale au bord du gouffre.

Mais désormais, les enquêteurs auraient décidé de se pencher sur le processus des candidatures olympiques et par extension, aux conditions d’attribution des Jeux Olympiques de Rio 2016 et de Tokyo 2020.

Réunion de la Commission exécutive du CIO, le 1er mars 2016 à Lausanne (Crédits - IOC Flickr / C.Moratal)
Réunion de la Commission exécutive du CIO, le 1er mars 2016 à Lausanne (Crédits – IOC Flickr / C.Moratal)

Un grade au-dessus. Si tel devait être le cas, cela constituerait indéniablement une secousse à destination du Comité International Olympique (CIO).

Épargné jusqu’à présent par les scandales qui frappent les grandes instances du sport – FIFA, IAAF en tête – le CIO pourrait donc revivre des heures sombres qu’il n’a plus connu depuis la révélation du scandale relatif à l’attribution des Jeux d’hiver de Salt Lake City 2002 et la mise en œuvre du plan de réforme CIO 2000.

Depuis cette époque, l’institution de Lausanne (Suisse) a veillé à se prémunir de toute nouvelle révélation susceptible d’écorner son image et d’entamer sa crédibilité.

Pour cela, et sous l’impulsion de son Président Thomas Bach, le CIO a adopté une batterie de réformes en fin d’année 2014, batterie qui s’intitule sobrement Agenda 2020 et dont certains éléments ont d’ores et déjà été instaurés, notamment en ce qui concerne le processus des candidatures dont la nouvelle trame s’applique pour les Villes Candidates aux JO 2024.

Mais avant cela, les enquêteurs français devront établir des faisceaux d’indices ou des éléments à charge qui indiqueraient une possible corruption de membres pour permettre l’attribution des Jeux de 2016 et de 2020 à telle ou telle candidature.

Nawal El Moutawakel, Présidente de la Commission de Coordination du CIO en charge de Rio 2016, et Carlos Arthur Nuzman, Président du Comité d'Organisation des JO 2016 (Crédits - Rio 2016 / Alex Ferro)
Nawal El Moutawakel, Présidente de la Commission de Coordination du CIO en charge de Rio 2016, et Carlos Arthur Nuzman, Président du Comité d’Organisation des JO 2016 (Crédits – Rio 2016 / Alex Ferro)

Le 14 janvier dernier, « Sport & Société » soulevait déjà la question de savoir si le CIO allait être rattrapé par le scandale de corruption de l’IAAF. Cette interrogation faisait suite à la publication du rapport de la Commission indépendante de l’Agence Mondiale Antidopage (AMA).

Cette dernière mentionnait en effet – en note de bas de page – « des transcriptions de diverses discussions [faisant] référence à un échange relatif au processus d’appel d’offres de la Ville Olympique pour les Jeux d’été de 2020 ».

La Turquie et le Japon auraient alors été approchés par des proches de Lamine Diack, ancien Président de l’IAAF et ancien membre du CIO, soucieux de monnayer le soutien formel le jour du scrutin en direction de la candidature de Istanbul ou de Tokyo.

Mais l’échéance de 2020 n’aurait pas été la seule cible du « clan » Diack. Selon « The Guardian » – déjà – l’un des fils de l’ancien patron de l’athlétisme mondial aurait joué un rôle déterminant pour exercer une pression sur certains membres du CIO en échange du soutien à la candidature de Doha 2016.

Si dans le premier cas, Tokyo a fini par remporter largement la mise face à sa rivale stambouliote, dans le second cas, la ville du Golf fut éliminée avant même d’avoir obtenu le statut de Ville Candidate. Quant à Rio, elle s’était largement imposée face à Madrid.

Dans les deux cas, le rôle de Lamine Diack et de ses proches pourraient toutefois être examiné de près par la justice hexagonale.

Présentation de l'Agenda 2020 par Thomas Bach, lors de la 128e Session du CIO, le 02 août 2015 (Crédits - CIO / Ian Jones)
Présentation de l’Agenda 2020 par Thomas Bach, lors de la 128e Session du CIO, le 02 août 2015 (Crédits – CIO / Ian Jones)

De son côté, un porte-parole du CIO a tenu à clarifier la position de l’institution sur le sujet et ce, au moment où celle-si est réunie à Lausanne, notamment pour examiner les préparatifs organisationnels de Rio 2016.

« Le CIO est en contact étroit avec les enquêteurs français depuis le début de cette enquête, l’an dernier.

Le responsable de l’éthique au sein du CIO avait déjà demandé que l’institution soit pleinement informée en temps opportun de toutes questions pouvant se référer à des sujets olympiques, et a déjà demandé d’être partie aux enquêtes menées par les autorités judiciaires françaises » a notamment affirmé Mark Adams.

A moins de 160 jours de l’ouverture des Jeux de Rio 2016, le Comité d’Organisation a également souhaité s’exprimer sur les informations parues dans la presse anglo-saxonne.

« Rio a remporté les Jeux car il disposait du meilleur projet, tant du point de vue de l’organisation que de l’héritage. Rio a battu Madrid par une marge claire de 66 voix contre 32, ce qui exclut toute possibilité d’une élection manipulée » a ainsi déclaré le Comité d’Organisation.

(Crédits - Paris 2024 / Philippe Millereau / KMSP)
(Crédits – Paris 2024 / Philippe Millereau / KMSP)

Aujourd’hui, une question se pose : avec l’extension possible de l’enquête française, la candidature olympique de Paris 2024 ne risquerait-elle pas d’être sérieusement impactée, notamment dans l’optique de l’attribution des Jeux, en septembre 2017.

Si d’ici-là, de nombreux membres auront quitté les sièges de l’institution des bords du Lac Léman, d’autres seront encore présents. Et pour partie, ceux qui ont élu les Villes Hôtes des Jeux d’été de 2016 et de 2020.

Toutefois, une éventuelle manœuvre rancunière visant à sanctionner ou à éliminer prématurément les chances de victoire parisienne serait de nature à affaiblir, in fine, non pas la candidature française, mais bien le CIO. Ce dernier demeure en effet perçu comme une institution opaque et au fonctionnement dépassé aux yeux de l’opinion publique et ce, malgré les engagements relatifs à la mise en application de l’Agenda 2020.

Un nouveau scandale viendrait immanquablement rappelé le CIO à ses vieux démons. Un scandale supplémentaire – autour de la entre certains membres et Paris 2024 en dehors de toute critique objective – entacherait durablement la crédibilité de l’instance olympique.

Chacun va donc suivre avec attention les suites de l’enquête française.

Mais où s’arrêtera-t-elle ?

MISE A JOUR / Mercredi 02 mars 2016 :

Dans un bref communiqué, le Comité International Olympique fait savoir que le Président Thomas Bach donnera une conférence de presse aujourd’hui à 17h00.

Si la nature de cette conférence – initialement programmée au 03 mars – n’a pas été précisée, il se pourrait que le Président du CIO aborde les dernières révélations touchant l’institution et l’attribution des JO 2016 et 2020.

11 pensées

  1. Pouvez vous nous renseigner sur le dossier sur lequel enquête les services français. S’agit-il d’une enquête préliminaire ou d’un dossier instruit ? Quel juge est en charge du dossier?

  2. Si un nouveau scandale venait à ébranler le CIO, à l’image de celui de 1998, je n’ose imaginer que la candidature tricolore en sortirait indemne. C’est un terrain plus que glissant pour Paris 2024. Il faut rester prudent à ce stade de l’enquête, c’est évident.

    Lorsque le suisse Marc Hodler a littéralement fait imploser le CIO, en révélant cette affaire de pot-de-vin concernant Salt Lake mais aussi les candidatures de 1998 et 2000, Sion était candidate et ultra-favorite face à Turin pour les JO de 2006.

    Le vote avait lieu quelques semaines après la révélation et Lausanne s’engluait encore dans ce scandale. On connaît la suite: Sion fut atomisé par la candidature italienne.

    Les Valaisans ont crié au scandale, considérant ce vote comme un vote sanction contre la Suisse, car c’est bien un membre suisse qui a révélé cette affaire. Tout ceci n’est que supposition, mais tout de même..

    A l’heure ou le CIO se veut exemplaire, un scandale de ce type ne passerait pas. Et si ce scandale venait de la justice française, je doute que les membres du CIO offrent à Paris les jeux de 2024 sur un plateau d’argent.

    Mais 2017 est encore loin…et l’enquête n’en est qu’à un stade préliminaire

    1. Il est certain que Sion a payé le prix fort et que sa défaite est en lien avec les revelations de Marc Hodler. Je me souviens que lors de la designation de la ville organisatrice en 1999 à Seoul, même les Turinois avaient du mal à croire en leur victoire tant Sion paraissait au-dessus du lot pour 2006. N’oublions pas que Samaranch père régnait alors sur le CIO…Autre temps, autres moeurs? Pas si sûr…

  3. La France s’essaie à un jeu dangereux dans le domaine, je partage.

    Tout le monde ne peut pas comme les Etats-Unis viennent de le faire dans le cadre de la FIFA, peser sur une gouvernance dans le seul sens de leur intérêt en provoquant des élections et en manoeuvrant pour leur candidat désormais élu, Gianni Infantino.

    Respectons l’indépendance de la justice, sa lenteur avérée et mesurons en les conséquences au moment de la désignation en 2017 si je ne m’abuse.

    1. Tout à fait. Le travail d’enquête ne fait que commencer concernant le volet sur l’attribution des JO 2016 et 2020.

      Ce sera une étape longue, même si je pense, à titre personnel, qu’elle n’aboutira à rien de semblable de ce qui se passe pour la FIFA ou l’IAAF.

      La procédure électorale est bien différente que pour ces deux organisations ou seules une quinzaine de membres sont appelés à s’exprimer. Mais surtout, l’écart des voix pour 2016 et 2020 est tel que le scrutin ne peut être frappé d’invalidité. Et si corruption il y a eu, cela ne concernerait qu’une poignée de personnes – 5-6 si l’on se base sur les destinataires des courriels du fils de Lamine Diack.

      Il n’en demeure pas moins que cette affaire naissante n’est en rien une bonne publicité pour les organisations sportives internationales, ni même pour le CIO, et ce alors même qu’elles essayent de faire bonne figure avec des réformes diverses. Le CIO a adopté son désormais fameux Agenda 2020. Cela suffira-t-il ? Il reste que la désignation même des membres du CIO – système opaque s’il en est – doit impérativement être revu, pour plus de transparence et de crédibilité, notamment pour une meilleure représentation des athlètes.

  4. Le CIO peut profiter de cette enquête pour montre que l’institution a changé et est devenue « propre ». Cela pourrait redorer le blason du CIO et inciter, dans le futur, de nouvelles candidatures pour les JO. Et cette enquête est indépendant donc elle peut avoir plus de crédit qu’une enquête en interne.

      1. De ce que j’observe, c’est que le CIO se divise en deux parts à peu prêt égal : Une frange conservatrice et une autre plutôt réformatrice dont Thomas Bach fait parti. Ces deux oppositions se sont ressentie lors de l’élection des jeux de 2022.

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