Les Jeux Olympiques d’hiver ont-ils un avenir ?

Et si les Jeux Olympiques d’hiver, véritables et authentiques, appartenaient déjà au passé ?

La question mérite d’être posée au regard des évolutions tenant à l’attribution et à l’organisation de l’événement sportif hivernal, au cours des dernières décennies, car plusieurs éléments sont à prendre en compte : l’aspect organisationnel particulier des Jeux d’hiver mais aussi et surtout, l’impact environnemental de cet événement planétaire.

Inaugurés pour la première fois en 1924 à Chamonix, village des Alpes françaises situé face au Mont-Blanc, les Jeux d’hiver ont connu une croissance fulgurante au fil des éditions, tant du point de vue des participants sélectionnés que du nombre d’épreuves.

Alors que les Jeux de Chamonix 1924 n’avaient accueilli que 258 athlètes issus de 16 Comités Nationaux Olympiques (CNO) et concourant dans 16 épreuves, l’édition de Vancouver 2010, a franchi de nouveaux paliers, en intégrant quelques 2 631 athlètes qualifiés auprès de 82 CNO et participant à pas moins de 86 épreuves olympiques. Les Jeux de Sotchi 2014 offre une palette encore plus large, avec l’intégration de nouvelles épreuves (patinage artistique par équipes, snowboard slopestyle…).

Ouverture - Sotchi 2014

Cette croissance constante pose toutefois quelques problèmes dont tout un chacun peut et pourra faire le constat : les JO d’hiver ne sont plus organisés dans des villes dites de montagne et ont peu à peu, perdu de leur authenticité.

L’édition 2010 a été attribuée à Vancouver (Canada), mais la moitié des épreuves ont eu lieu à Whistler, situé à 120 kilomètres de la ville portuaire de Colombie-Britannique.

Depuis jeudi dernier, l’édition 2014 a pour cadre Sotchi et la Mer Noire (Russie) mais les épreuves de neige ont lieu à une cinquantaine de kilomètres plus loin, sur le site de Krasnaïa Poliana.

Cela aurait également pu être le cas de Munich (Allemagne). Organisatrice des Jeux d’été 1972, la cité bavaroise était désireuse d’accueillir pour la première fois, deux éditions olympiques, à savoir été (1972) et hiver (2018 / 2022). Mais les promoteurs de la candidature munichoise prévoyaient, que ce soit pour 2018 ou 2022, la mise en place des épreuves-reines des Jeux, à Garmish-Partenkirchen, hôte des JO d’hiver 1936, distant de plus d’une heure de route de la ville centre !

Outre des difficultés logistiques évidentes, l’organisation des Jeux Olympiques est devenue particulièrement délicate pour l’édition hivernale.

Comment permettre le déplacement et l’accueil de centaines de milliers de spectateurs, en plus de la famille olympique, entre des sites aussi éloignés les uns des autres ? Telle est la question qui mérite d’être posée. En effet, la croissance du nombre d’athlètes est allée de pair avec l’augmentation du nombre de spectateurs et de représentants accrédités par le CIO, autrement dit, les journalistes.

L’intérêt porté aux JO d’hiver a progressé à mesure que la télévision – ou devrait-on dire la mondovision – s’est développée. De fait, des milliers de journalistes couvrent désormais l’événement et des centaines de milliers de spectateurs réservent et achètent leurs précieux sésames afin d’encourager les athlètes et suivre au plus près, les exploits olympiques.

Pour faciliter et fluidifier ces déplacements, les organisateurs investissent massivement dans la construction ou la modernisation de lignes de chemin de fer, de routes et d’autoroutes. A Sotchi, pas moins de 200 kilomètres de voies de chemin de fer ont ainsi été aménagées, 400 kilomètres de routes, un aéroport, deux gares ferroviaires, sans oublier l’édification de 77 ponts et 12 tunnels.

Tout ceci contribue à dénaturer l’idéal olympique des Jeux d’hiver mais surtout, à accroître la facture pour la Ville Hôte. L’attribution de l’événement à des villes où les équipements adéquates sont obsolètes voire inexistants, a en effet pour conséquence d’alourdir le budget organisationnel. Car même si une partie des infrastructures de transports – ponts, lignes ferroviaires, rocades autoroutières… – n’est pas directement nécessaire aux Jeux, elle contribue à la réussite de ces derniers et à l’accueil des participants. De fait, il paraît évident et logique, de prendre en compte ce type de dépenses exceptionnelles.

Pour Sotchi, les investissements ont été multipliés par cinq par rapport au budget initial, selon les dernières estimations. Dès lors, le budget global de Sotchi 2014 pourrait dépasser la barre symbolique des 50 milliards de dollars (37 milliards d’euros). Une somme considérable, qui plus est, au regard du contexte économique mondial actuel.

Certains évoqueront un investissement de relance économique pour un territoire qui mise principalement sur le tourisme d’affaires et demain, le tourisme sportif, mais il ne faudrait pas occulter le volet concernant l’héritage olympique.

Notion majeure de la Charte Olympique, la question de l’héritage – Legacy – est devenue un impératif pour toute ville désireuse d’organiser les Jeux.

Ces derniers appellent en effet une réflexion profonde quant au devenir des infrastructures sportives aménagées à l’occasion des festivités. Que faire des dizaines d’enceintes construites pour quinze jours de compétitions ? Telle est la question que doivent se poser les comités d’organisation mais aussi les services centraux des Villes Hôtes.

Dans le cas de la Russie par exemple, il est question de réutiliser le Stade Olympique en 2018 à l’occasion de la Coupe du Monde de Football de la FIFA. Mais après ? Cette question se posera aussi, au lendemain des festivités olympiques, pour l’ensemble des arénas érigées spécialement pour l’occasion.

Il y a sept ans, la ville de Sotchi ne disposait de presque rien en termes d’équipements sportifs de premier plan. Demain, elle aura un Parc Olympique d’envergure, qu’il faudra gérer, sécuriser et entretenir pour les années futures.

Snowboard slopestyle

L’édition hivernale repose sur plusieurs aspects propres que sont la situation géographique et le contexte environnemental. Les Jeux d’hiver sont organisés en partie dans des espaces naturels sensibles où la faune et la flore sont particulièrement vulnérables à tous types de changements et d’aménagements.

Dès lors, la gestion des JO d’hiver doit reposer sur le respect des normes environnementales approuvées et valorisées par le Comité International Olympique, comme l’Agenda 21 du Mouvement Olympique ou encore la Charte Olympique qui stipule que l’institution doit « encourager et soutenir une approche responsable des problèmes d’environnement, […] promouvoir le développement durable dans le sport et […] exiger que les Jeux Olympiques soient organisés en conséquence ».

Il apparaît en outre impérieux pour les Villes Candidates et plus encore pour la Ville Hôte, de structurer le schéma d’aménagement territorial, en prenant en considération les hypothétiques changements qui pourraient se produire sur le milieu naturel. Les choix d’aménagements doivent de fait être réalisés en adéquation avec les mesures législatives en vigueur dans le pays organisateur, si mesures législatives il y a.

Pour la soumission d’Annecy (France) à l’organisation des JO 2018, le comité de candidature avait par exemple mis en avant certains aspects propres aux Alpes françaises.

La candidature tricolore s’était notamment basée sur la Directive Territoriale d’Aménagement (DTA), reposant sur la Loi Grenelle II. Cette DTA s’organise, comme l’indiquait le dossier de candidature, « autour de quatre grandes orientations dont la mise en œuvre sera accélérée par l’organisation des Jeux : structurer le territoire multipolaire des Alpes du Nord autour du sillon alpin et des vallées ; préserver et valoriser les espaces naturels et ruraux et les ressources ; promouvoir un tourisme respectueux de l’environnement ; garantir un système de transport durable dans les Alpes du Nord ».

A première vue, le projet français proposait l’organisation de Jeux « verts », en adéquation avec l’idéal olympique des origines. La législation nationale imposait par ailleurs le strict respect des zones NATURA 2000 et des dispositions de la Loi relative au développement et à la protection de la montagne, communément appelée, Loi Montagne.

Mais si des pays comme la France dispose d’un arsenal législatif et réglementaire conséquent du point de vue environnemental, ce n’est pas le cas de tous les hôtes des Jeux Olympiques d’hiver.

La Russie accueille actuellement ses premiers Jeux Olympiques d’hiver à Sotchi. Cette cité de quelques 370 000 habitants est située à mi-chemin entre la Mer Noire et une zone montagne et forestière classée. Les divers aménagements liés directement ou indirectement aux Jeux ont incontestablement causé des dommages plus ou moins nocifs à la faune et à la flore locale.

Quand le rêve olympique est une priorité, la protection de l’environnement passe au second plan.

Toutefois, les volontés politiques des uns et des autres ne pourront pas aller à l’encontre des évolutions climatiques à venir. Car même avec les meilleures technologies, rien ne peut aujourd’hui empêcher les dérèglements climatiques et de fait, un profond changement du climat.

Flamme olympique Sotchi 2014

Dès lors, faut-il s’inquiéter de l’avenir des Jeux Olympiques d’hiver ?

A l’évidence oui. Même si le CIO a depuis longtemps abandonné l’idée de Jeux traditionnels, organisés dans un cadre naturel unique, le modèle des cités-artificielles n’est pas une solution pérenne.

En effet, en organisant un événement comme les Jeux sur un territoire vierge, le CIO contribue à alourdir la facture globale pour la ville et pour le pays. C’est aujourd’hui le cas pour Sotchi et ce sera certainement le cas demain avec PyeongChang. Comme pour la cité russe, la ville sud-coréenne a déjà entrepris des travaux d’envergure pour construire de toute pièce, un Parc Olympique et plus largement, une véritable station de sports d’hiver.

Cet artifice a un prix, le CIO en est conscient et pourrait de fait être dans l’obligation de revenir à un modèle plus vertueux pour ne pas être dans une situation des plus inconfortables, à savoir le désamour des citoyens et des villes pour les Jeux d’hiver.

C’est dans ce souci là que le nouveau Président de l’institution de Lausanne, Thomas Bach, a demandé aux aux Villes Requérantes de baser leur projet respectif sur des sites existants ou tout du moins, temporaires, afin de limiter les impacts divers.

Mais de six, la phase de sélection de la Ville Hôte des JO 2022 est déjà passée à cinq villes (abandon de Stockholm) et pourrait encore perdre une (Lviv) ou deux villes (Lviv et Oslo) d’ici au dépôt officiel des dossiers de requérance le 14 mars. Cette baisse du nombre de candidats s’explique notamment par le coût des Jeux mais pas seulement.

En effet, l’inquiétude est de plus en plus vive de devoir organiser des Jeux artificiels, basés uniquement sur l’utilisation de fausse neige.

Pour Sotchi, les autorités avaient pris la décision de stocker plus de 500 000 m3 de neige artificiel. Il en sera sans doute de même pour les échéances futures, à moins que l’on décide tout simplement, de supprimer les Jeux d’hiver pour ne conserver qu’un seul et unique modèle : les Jeux Olympiques d’été.

Illustrations : Crédits – CIO / Getty Images / Sotchi 2014