Interview d’Agnès Popelin : « Le projet d’extension de Roland Garros suscite depuis sa genèse des alliances qui dépassent les clivages politiques traditionnels »

Agnès Popelin s’est fait connaître des Français par son opposition franche au projet de la Fédération Française de Tennis, relatif à l’extension et à la modernisation du stade de Roland Garros.

Celle qui se dit « fan de tennis et de rugby, aficionado du tournoi en direct des gradins depuis 1972 », est une juriste de formation. Ayant travaillé dans plusieurs agences de communication et services de presse, Agnès Popelin n’en a pas pour autant oublier ses engagements personnels et notamment la défense de l’environnement.

Cette mère de trois enfants, consacre ainsi son temps libre au Collectif Auteuil Les Princes (CAP / présidente) ainsi qu’à l’Association du Quartier du Parc des Princes (APP / vice-présente).

Agnès Popelin est également engagée en qualité d’administratrice au bureau d’Ile-de-France Environnement (IDFE) mais aussi au sein de France Nature Environnement (FNE), sans oublier bien entendu, son rôle de coordinatrice de la plate-forme associative « Ensemble pour un autre Roland Garros ».

C’est d’ailleurs son rôle et son engagement sans faille au cœur de cette structure rassemblant pas moins d’une vingtaine d’associations nationales, régionales et locales, qui a conduit à la réalisation de cette interview.

Agnès Popelin

Dans votre projet, présenté en mars dernier, vous préconisez avec plusieurs organismes et associations, des solutions alternatives à celles envisagées par la FFT : couverture partielle de l’autoroute A13, privatisation et annexion d’une partie de l’avenue de la Porte d’Auteuil, surélévation du Court n°1 et création d’une esplanade centrale des Mousquetaires, entre les Courts Philippe Chatrier et Suzanne Lenglen.

En quoi ce projet répond-t-il davantage aux besoins des joueurs et des spectateurs que celui porté par la FFT ?

– AP : Notre alternative* étayée par une expertise de faisabilité technico-financière et diligentée par un cabinet faisant référence, répond aux besoins d’extension et de modernisation du stade de Roland Garros exprimés par la FFT. Notre projet a pour avantage de proposer plus d’espaces dédiées aux spectateurs et également d’apaiser les contentieux. Nous avons conçu notre projet autour de trois priorités :

> Une circulation plus fluide des spectateurs

Pour répondre aux besoins d’agrandissement du stade de Roland Garros, en quasi asphyxie lors de la première semaine du tournoi, la couverture partielle projetée de l’autoroute A13 et l’annexion d’une partie de l’avenue de la Porte d’Auteuil, offriraient une emprise équivalente à celle proposée par la Ville de Paris. Y seraient réimplantés les courts annexes, prévus dans le projet de la FFT entre le futur stade couvert Philippe Chatrier et le stade Suzanne Lenglen.

L’emprise ainsi dégagée entre les deux principaux stades, permettrait la création d’une esplanade sur plus de deux hectares, offrant en plein cœur du site, un vaste espace de déambulation et d’accueil du public qui fait cruellement défaut au projet présenté par la FFT. Celui-ci densifie le bâti et n’offre aucun espace vert supplémentaire, se contentant de les redistribuer.

> Trois grands stades et espaces dédiés aux boutiques et au Village

Notre projet prévoit le maintien et la surélévation du Court n°1 afin de doter le tournoi d’un troisième stade de 5 000 places. Cela engendrerait une nette réduction du montant global des travaux, en rendant inutile la destruction d’un stade très apprécié et la construction d’un court de capacité équivalente dans le Jardin Botanique des Serres d’Auteuil, à la livraison aléatoire. Cette somme compenserait le coût de la couverture partielle de l’A13. Outre de nouveaux espaces-services pour le public, nous avons également pris en compte les besoins en boutiques supplémentaires et l’implantation du Village, générateurs de recettes substantielles pour la FFT.

> L’implantation du Centre National d’Entrainement (CNE) au Tennis Club Jean Bouin

Quant au confort pour les joueurs, les aménagements prévus par la FFT ne sont pas remis en cause par notre projet puisqu’ils se situeront dans les sous-sols du nouveau court Philippe Chatrier.

En revanche, nous proposons d’installer le futur CNE au sein du Club Jean Bouin, à proximité immédiate du stade de Roland Garros. Ce club, concédé à la FFT depuis 2010, accueillait auparavant la « Team Lagardère ». Pourquoi privatiser au profit de la FFT le dernier stade municipal omnisports Georges Hébert du sud du XVIe arrondissement dévolu au sport scolaire et associatif plutôt qu’aménager ce club ? La rationalité du raisonnement nous échappe.

– Quels sont vos rapports actuels avec la FFT et la Ville de Paris, notamment depuis les décisions du Tribunal Administratif de Paris ?

AP : L’annulation par le Tribunal Administratif de Paris, le 28 février 2013, de la délibération autorisant la Ville à concéder une nouvelle emprise à la FFT et à y réaliser les travaux d’agrandissement du stade de Roland Garros, ouvrait des perspectives de dialogue constructif entre les parties.

La Ville de Paris n’a toutefois pas souhaité répondre à nos demandes de rendez-vous et la FFT n’a repris contact avec nous qu’en juin dernier, obéissant à l’injonction votée à l’unanimité, le 23 mars dernier, par le Conseil de Paris de réaliser une expertise indépendante de notre contre-projet.

Esprit d’ouverture vite battu en brèche par l’adoption le 25 avril après un débat houleux par le même Conseil, d’une nouvelle convention sur l’agrandissement et la modernisation du stade de Roland Garros, quasi identique à celle annulée par les juges administratifs.

En juin 2013, une reprise des « échanges » a eu lieu, cependant marquée par l’absence des élus de la FFT lors de ces réunions.

Les représentants des associations nationales ont été invités à une audition, le 17 juin dernier, des experts mandatés par la FFT pour une étude de faisabilité juridique et technico-financière de notre solution alternative. Elle conclut à une estimation similaire du coût de notre alternative : 60 millions d’euros (valeur 2013), à rapprocher de notre évaluation de 53 millions d’euros. L’expertise juridique mandatée par la FFT insiste également sur la complexité juridique commune des deux projets d’extension dans un tissu urbain dense, faisant l’objet de multiples protections juridiques. Seul défaut de notre alternative selon la FFT : elle serait inappropriée en raison du regroupement au nord du site des quatre courts d’entrainement prévus au centre du site… Et de procéder à une évaluation par ses experts d’une nouvelle proposition pharaonique qui, par son contenu et son coût, est sans rapport avec notre contre-projet.

Une réunion du Comité de suivi s’est également tenue le 19 juin dernier, toujours en l’absence d’élus de la FFT. Pris à parti violemment par Gilbert Ysern, directeur général de la FFT, Jean-Pierre Tiffon, l’animateur de la réunion, ancien garant de la concertation, a démissionné de sa fonction au cours de cette réunion longue et difficile, invoquant l’absence de volonté de dialogue et de fair play de la part de la FFT.

– Le projet de modernisation de Roland Garros sera sans aucun doute l’un des thèmes de la prochaine campagne des Municipales. Avez-vous été sollicitée ou approchée par des candidats ou des formations politiques ?

AP : Le projet actuel d’extension de Roland Garros devrait nourrir le débat des prochaines municipales parisiennes alimenté par des décisions judiciaires attendues dans les six prochains mois. Nous souhaiterions rencontrer tous les candidats.

Le projet d’extension de Roland Garros suscite depuis sa genèse des alliances qui dépassent les clivages politiques traditionnels.

Le groupe EELV, membre de la majorité municipale actuelle, nous soutient depuis toujours au nom de la préservation du Bois de Boulogne. Cécile Duflot, candidate aux élections régionales, avait prôné, lors d’une conférence de presse en janvier 2011, le départ du stade en banlieue au nom du Grand Paris et à défaut d’une étude alternative épargnant le Jardin Botanique des Serres d’Auteuil.

L’UMP parisienne est plus divisée sur le sujet : le Maire du XVIe, Claude Goasguen soutenant le projet de la FFT, tandis que Jean-François Legaret, président du groupe UMP au Conseil de Paris, et Pierre-Christophe Baguet, Maire UMP de Boulogne-Billancourt, sont partisans de notre alternative à l’instar du MoDem.

Nul ne peut affirmer aujourd’hui que la candidate Anne Hidalgo adoptera une attitude aussi tranchée que le Maire de Paris sur cette question.

– L’extension de Roland Garros est évoquée depuis de longues années : projet d’un super stade dans le Bois par la FFT en 2001, création d’un grand complexe tennis-badminton en 2005 dans le Bois, dans le cadre de la candidature de Paris aux JO 2012, projet Mimram en 2009. Il est de fait devenu un véritable « serpent de mer » du sport français. La faute à qui ?

AP : La paternité de cette véritable « Arlésienne » est à attribuer sans aucune hésitation aux dirigeants de la FFT qui souhaitent faire entrer un pied de pointure 45 dans une chaussure taillée pour du 36 !

L’impréparation du projet est flagrante. La FFT ressasse depuis 2001 un projet d’agrandissement en plein cœur de Paris, à proximité du stade actuel sans reconnaître la difficulté voire l’impossibilité juridique d’une telle extension en plein cœur du Bois de Boulogne, classé monument naturel, tel le Parc du Château de Chambord ou la forêt de Fontainebleau. Les dirigeants du tennis français se refusent à une évidence, admise par les organisateurs des trois autres tournois du Grand Chelem : partir pour s’agrandir ou adopter l’adage du « small is beautiful » et rester un « must » parisien à l’extension raisonnée.

Le projet d’un dôme de 15 000 places sur le stade Hébert conçu par Marc Mimram lancé en mai 2009 dont la livraison était promise pour 2012, n’était qu’une opération médiatique orchestrée par l’équipe de Bîmes, dont le vice-président était Jean Gachassin. La présence d’un central téléphonique sur plusieurs niveaux souterrains rendait le projet irréalisable. Peu importe, ce qui comptait, était de clamer le manque d’espace. La Ville de Paris semblait à l’époque sourde aux menaces de départ de la FFT et lançait un audit sur le montant de la redevance versée par la Fédération de Tennis pour sa concession de 8,5 hectares.

Les experts de la Ville ont mis en relief le montant anormalement bas de la redevance et conclu à relever celle-ci à 17 millions au lieu des 1,5 million d’euros versés. La FFT va alors entamer une partie de poker-menteur : en raison d’un espace insuffisant, elle menace de déménager, et infliger un deuxième camouflet au Maire de Paris, ayant déjà perdu la partie devant Londres pour l’organisation des JO 2012.

Nous connaissons la suite : quatre villes candidates en lice avec auditions échelonnées dans le temps afin de permettre la surenchère des concurrents. Malgré les efforts du Maire de Paris qui enjolive la corbeille de la mariée quelques jours avant le vote décisif, le projet ne suscite guère l’enthousiasme. La FFT devra recourir à trois scrutins lors de son Assemblée Générale de février 2011 pour obtenir une majorité des 2/3 en faveur de Paris.

On rapporte que les plus heureux du choix étaient les salariés du siège de la Fédération, soulagés de ne pas avoir à emprunter le RER pour aller travailler en banlieue…

Dans les années 1970, Philippe Chatrier avait insufflé un esprit de modernité au tournoi de Roland Garros, devenu la référence du Grand Chelem. En 1978, l’US Open a quitté Forest-Hills pour prendre ses quartiers à Flushing Meadows. En 1988, l’Open d’Australie s’est implanté à Melbourne Park après un long séjour à Kooyong. Aucun des deux n’a eu à le regretter, bien au contraire, chacun des vastes sites, implanté dans un parc suivant l’exemple de Wimbledon, offre des perspectives d’agrandissement, soulignant le manque d’espace du stade parisien et l’inconfort de son encombrement démodé : le choix singulier de la FFT de maintenant son stade en plein cœur de la capitale.

L’exception culturelle de la FFT s’accentue à l’heure des annonces par le All England Club de la couverture du Court n°1 (Central Court couvert en 2009), et par l’USTA de moderniser le Billie Jean King National Tennis Center pour 500 millions de dollars avec couverture du stade Arthur Ashe, rattrapant ainsi leur retard par rapport au Melbourne Park et ses trois stades multiplexes couverts. Autre différence notable, l’USTA allouera une dotation financière de 10,05 millions de dollars au Flushing Meadows Corona Park en compensation de son léger agrandissement !

La FFT est victime de son manque d’ambition et d’absence de vision à long terme. A mon humble avis, elle a raté un tournant historique en choisissant de demeurer à Paris au lieu d’aménager en banlieue un vaste complexe sportif avec plusieurs stades multiplexes adaptés aux besoins des joueurs et des médias, et du foncier en réserve pour l’avenir.

Deuxième erreur, la crispation de la FFT et son entêtement à poursuivre un projet annulé par la justice administrative, son refus, maintes fois réitéré par son directeur général, Gilbert Ysern, d’envisager « un plan B », révèlent de façon inquiétante une gestion à court terme de l’avenir du tournoi, menaçant le développement à long terme du tennis français et l’avenir des Internationaux de France.

– Si l’on regarde en arrière, on constate que la proposition de couverture partielle de l’A13 n’est pas si éloignée de celle formulée dans le dossier de candidature de Paris aux JO 2012 (Dôme de 15 000 places en bordure du Bois de Boulogne**). Pourtant, ce projet avait à l’époque été décrié par plusieurs associations, notamment « Ile-de-France Environnement ». Aviez-vous été sensibilisée à cette question ?

AP : Les associations, déjà opposées au projet des JO 2012, sont membres de l’union associative « Ensemble pour un autre Roland Garros ». Les associations Ile-de-France Environnement – dont j’ai l’honneur d’être administratrice et membre du bureau -, la Coordination pour la Sauvegarde du Bois de Boulogne, sont également requérantes dans les actions contentieuses que nous menons aujourd’hui auprès des tribunaux. Il n’y a aucune incompatibilité entre nos positions d’hier et celles d’aujourd’hui.

Notre projet ne conduit pas à une réduction du Bois de Boulogne et à sa « bétonisation » comme le prévoyait le projet des JO Paris 2012. Bien au contraire, il promeut la création d’un nouvel espace paysager par la couverture de l’autoroute, qui relierait le Bois et ses quartiers riverains, aujourd’hui séparés par cette saignée autoroutière.

Nous ne prévoyons aucune construction dans le Bois de Boulogne, en dehors de l’emprise historique du stade et de la couverture de l’autoroute, respectant scrupuleusement les règles d’urbanisme en vigueur. Le Bois de Boulogne est, au-delà de l’autoroute et du périphérique, un « espace boisé classé », réputé inconstructible selon le Code de l’Urbanisme et doit le demeurer, quels que soient nos projets olympiques et besoins en terme de grands stades.

Pour mémoire, le Bois de Boulogne, propriété de l’État a été donné à la Ville de Paris à titre gratuit, par une loi promulguée le 08 juillet 1852 sous Napoléon III, avec pour servitude perpétuelle d’être un lieu de promenade ouvert à tous. Ses protections juridiques ont été renforcées : classé monument naturel en 1957, puis inventorié en 1985, Zone Naturelle d’Intérêt Écologique, Faunistique et Floristique (ZNIEFF).

Le projet des JO 2012 était un non-sens écologique et urbanistique dans une capitale qui est parmi les plus pauvres en espaces verts (5,8 m² d’espace vert par habitant ou 14,5 m² en comptant les deux bois de Boulogne et de Vincennes, (contre 36 m² à Amsterdam, 45 m² à Londres, 59 m² à Bruxelles ou 321 m² à Rome). Le projet JO de Londres, réhabilitant des quartiers déshérités sans altérer ses espaces naturels, a été un cruel contre-point en notre défaveur.

– On le constate régulièrement, dès qu’il s’agit d’enceintes sportives de grande capacité – Arena 92 de Nanterre notamment -, de nombreux recours sont intentés à l’encontre des promoteurs. Est-ce une problématique propre à notre pays ?

AP : Beaucoup de grands projets urbanistiques, et pas seulement la construction de grands stades, font l’objet d’opposition et de recours juridiques. La raison principale de cette contestation réside dans l’absence de concertation en amont du projet comme l’exige pourtant la Convention d’Aarhus ratifiée par la France en 2002. « Le fait du Prince » est dépassé à l’heure de la démocratie participative !

Les maîtres d’ouvrage ne devraient pas craindre mais apprécier le savoir des usagers, l’expérience des riverains, afin de mieux intégrer leurs projets dans l’espace qu’ils investissent et ainsi mieux prévenir tout risque contentieux.

A quelques encablures du stade de Roland Garros, la rénovation de la Piscine Molitor ne souffre d’aucune contestation juridique, Colony Capital ayant accepté de modifier son projet initial afin de mieux l’intégrer au paysage urbain environnant.

La construction d’enceintes sportives, en dehors de leurs coûts astronomiques, telles le stade Jean Bouin, l’Arena 92, Roland Garros, le Grand Stade de Lille, le futur Stade des Lumières à Lyon se font au prix de la disparition de stades dédiées au sport de proximité (Jean Bouin, Arena 92, Roland Garros) ou dans des hauts lieux du patrimoine architectural ou naturel (Lille, Roland Garros) ou de l’artificialisation de terres agricoles proches de grandes métropoles (Lyon). Ces projets sacrifient sur l’autel des dieux du sport, les Codes du Patrimoine, de l’Urbanisme et de l’Environnement. Vous remarquerez que malgré sa démesure financière, il existe peu ou prou d’opposition à l’encontre du projet de la Fédération Française de Rugby (FFR) d’un Grand Stade de rugby à Évry, implanté sur un hippodrome tombé en déshérence.

– Initialement programmée pour l’édition 2016, l’ouverture du nouveau Roland Garros est désormais établie pour 2018 voire 2019 ou même 2020. Ne craignez-vous pas que les retards déjà engendrés par les recours administratifs et juridiques ne pénalisent à terme, le statut même du tournoi de Roland Garros ?

AP : Le risque encouru par les dirigeants de la FFT sur la date de livraison n’est pas de notre responsabilité. La FFT semble prendre conscience des risques de retard dans la livraison du futur stade malgré leur optimisme affiché. Dans la convention liant la Ville de Paris et la FFT d’avril 2013, il est stipulé que pour « tenir compte des aléas déjà subis par le projet, la FFT souhaite modifier la date permettant de livrer les éléments essentiels du projet de modernisation non plus en 2020 mais en 2022 ». Nous sommes loin d’une livraison annoncée pour 2018 lors de leur conférence de presse à l’ouverture de Roland Garros 2013.

Nous avions pourtant averti la FFT de notre opposition au projet d’implantation d’un stade dans le Jardin Botanique lors d’une rencontre au printemps 2011. La FFT ne cesse depuis d’opposer à nos arguments juridiques, leur sempiternelle réplique sur la « beauté de leur projet ». Nous n’avons pas la prétention de décréter ce qu’est le Beau, nous faisons uniquement valoir les deux arrêtés de classement protégeant le Jardin Botanique des Serres d’Auteuil en tant que monument naturel et monument inscrit sur l’Inventaire des Monuments Historiques. Si le législateur a donné des instruments de protections juridiques, c’est bien pour protéger certains sites, bâtiments, lieux, de la folie destructrice de l’homme.

J’ai pris la liberté de déclarer au président Jean Gachassin lors d’un rendez-vous au printemps 2012, qu’à la différence du président Philippe Chatrier, visionnaire de Roland Garros, lui-même risquait par son entêtement d’être le fossoyeur du tournoi. La suite des événements semble, hélas, le vérifier. Aussi surprenant que cela puisse paraître, le président Jean Gachassin semble peu impliqué par le projet, déléguant la gestion du projet à une équipe restreinte dirigée par Gilbert Ysern.

Le président de la Fédération de tennis n’a d’ailleurs jamais assisté à une seule réunion durant la concertation hormis une, sans doute en raison de la présence exceptionnelle de Madame Anne Hidalgo. Pouvez-vous imaginer un tel absentéisme de la part de Philippe Chatrier ou du très contesté Christian Bîmes ?

– Dans votre projet, vous ne faites pas mention des deux principaux Courts. Pensez-vous que leur disposition actuelle est suffisante pour un tournoi digne du Grand Chelem ?

AP : Leur jauge en nombre de spectateurs est proche de celles des autres tournois du Grand Chelem, excepté le surdimensionné Arthur Ashe Stadium.

En revanche, je crains que la configuration du site prévue par la FFT ne rende difficile la gestion des flux de spectateurs, notamment lors du chassé-croisé des sessions diurnes et nocturnes. De sacrés embouteillages sont prévisibles dans les allées. Le futur Roland Garros n’offrira jamais le confort et une surface équivalente aux autres tournois du Grand Chelem : 25 000 m² supplémentaires pour le tournoi parisien soit 11 hectares au total, en comptant la privatisation d’une rue au lieu des 20 hectares de Wimbledon et de Melbourne et 14 hectares avec une extension annoncée pour Flushing Meadows. Pour gommer la petite taille du site, la FFT use d’artifices en ajoutant les 1,3 hectares du CNE du Stade Hébert et les 2,25 hectares du Tennis Club Jean Bouin, situés tous les deux à quelques encablures et dévolus à l’entraînement des joueurs !

– Êtes-vous, comme la FFT, favorable à la couverture du Court Central Philippe Chatrier et, à plus long terme, du Court Suzanne Lenglen ?

AP : Nous ne sommes absolument pas opposés à la couverture du Court Philippe Chatrier, la FFT et la Ville ayant renoncé de leur propre chef à celle du Court Suzanne Lenglen. Dans notre projet, nous suggérions également de profiter de l’agrandissement du Court n°1 pour le doter d’un toit.

Aussi étrange que cela puisse paraître, Édouard-Vincent Caloni, le directeur de la communication de la FFT, soulignait lors d’une émission sur BFM Business durant Roland Garros 2013, que la couverture du Court Chatrier n’était toutefois pas urgente, deux finales ayant dû seulement être reportées depuis 1928…

En revanche, rien ne justifie le rehaussement du stade Chatrier de 12 mètres supplémentaires pour y installer un toit rétractable de 4 mètres de hauteur, si ce n’est pour en augmenter la jauge. Lors de la réunion du Comité de suivi le 19 juin dernier, la FFT a enfin reconnu ce que nous affirmions depuis le début : la capacité du futur stade sera augmentée, 15 350 places minimum au lieu des 14 948 actuelles. Le plaidoyer du qualitatif et non du quantitatif psalmodié pendant la concertation laisse place à la vérité des chiffres. Le réaménagement des stades entrainera au moins 8 000 places supplémentaires par rapport au 35 000 actuels sans compter l’impact de la double billetterie.

– Pour rester dans le XVIe arrondissement de Paris, depuis l’arrivée d’investisseurs qataris au PSG, l’avenir du Parc des Princes semble plus qu’incertain : rénovation plus ou moins importante, démolition-reconstruction… Qu’en pensez-vous ? Ce dossier sera-t-il votre prochain cheval de bataille ?

AP : Le sud du XVIe arrondissement concentre les plus grands stades parisiens sur une bande de 3 km de long. Le stade du Parc des Princes (48 000 places) cohabite avec le nouveau stade Jean Bouin (20 000 places), distant de 10 mètres seulement, et voisin avec le stade Roland Garros (35 000 spectateurs par jour en moyenne).

L’agrandissement de ces trois enceintes sportives sans aucune nouvelle infrastructure de transports en commun ni parkings supplémentaires est un non-sens urbain. Il serait totalement déraisonnable de porter la jauge du stade du Parc des Princes à 60 000 ou 80 000 dans un arrondissement qui compte 173 500 habitants.

Tout le monde connait les stations balnéaires aux parkings et voiries conçues pour accueillir l’afflux de touristes pendant l’été. A Paris, nous faisons exactement le contraire : édifier des stades, concentrer un afflux de population, dans un espace urbain habité hyper dense, sans aucun aménagement corollaire. Un défi au bon sens et à la sécurité additionné d’un coût pour les contribuables français qui supportent au final, la majeure partie du coût des forces de l’ordre encadrant ces rassemblements sportifs.

Les dirigeants de ces stades oublient qu’ils sont implantés au cœur d’un bassin de vie avec des écoles, des commerces, des établissements hospitaliers, des résidents, et des travailleurs qui voient leur vie quotidienne gravement perturbée durant les compétitions sportives.

Les stades du Parc des Princes, Jean Bouin et Roland Garros ont été édifiés au siècle dernier sur l’ancienne zone des fortifs à l’époque où les manifestations sportives ne drainaient pas autant de spectateurs. Les stades modernes, à l’exemple du Stade de France, ont été construits dans un environnement doté de nouvelles infrastructures de transports, spécialement conçues pour drainer ces flux massifs de voyageurs.

Les manifestations sportives ont profondément changé, mêlant show, ventes de produits dérivés, débit de boissons et matchs. Les organisateurs de ces grandes messes sportives veulent garder leur public le plus longtemps possible afin d’augmenter au maximum le « panier moyen d’achat » du spectateur. La rencontre sportive a cédé la place au business mêlant exploits sportifs et recettes juteuses issues des produits dérivés et loges VIP avec services à la carte.

Ces nouveaux stades n’ont plus leur place au cœur de Paris, en raison de leurs succès et des règles de sécurité et de prévention des risques. Ils doivent déménager pour accomplir leur mue. Les associations sportives locales pourront alors récupérer ces stades qui leur ont été ravis au fil du temps.

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* Le projet alternatif est porté par les associations de défense de l’environnement et du patrimoine, nationales – Vieilles Maisons Françaises (VMF), Sites et Monument (ou SPPEF), France Nature Environnement – et régionales – Ile-de-France Environnement (IDFE), Coordination pour la Sauvegarde du Bois de Boulogne, Collectif Auteuil Les Princes (CAP), Plateforme des associations parisiennes, Paris Historique et SOS Paris et l’ensemble des associations locales de riverains.

** Comme l’indiquait le dossier de candidature (volume 2), « le Dôme est une extension prévue du stade historique de Roland Garros. Cette salle à toit rétractable sera capable d’accueillir des compétitions internationales de tennis. Le Dôme sera soigneusement intégré à l’environnement naturel, en bordure du Bois de Boulogne. La couverture d’un échanger routier offrira l’occasion d’un aménagement paysager nouveau, reliant le Bois aux quartiers environnants ».

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Bio express

Juriste de formation (Paris II) et d’un DESS de gestion marketing (IAE-Paris I), j’ai travaillé au sein d’agences de communication puis services de presse dans l’audiovisuel (France 2, Gaumont Télévision) avant de vivre quelques années à Londres.

Mariée, mère de trois enfants, je me consacre, en dehors de mes activités professionnelles, à la défense de l’environnement :

– au niveau local en tant que présidente du Collectif Auteuil Les Princes (CAP) et vice-présidente de l’Association du quartier du Parc des Princes (APP)

– au niveau régional et national en tant qu’administratrice d’Ile-de-France Environnement (IDFE), chargée de leur communication au sein du bureau, administratrice de France Nature Environnement (FNE) et coordinatrice de la plate-forme associative « Ensemble pour un autre Roland Garros » promouvant une solution alternative rassemblant plus de vingt associations nationales, régionales et locales, soutenue par ICOMOS-IFLA (UNESCO),

– coordinatrice des opérations médiatiques et manifestation pour un stade Jean Bouin Omnisports en 2009-2010, co-organisatrice avec quatre autres associations du Grand Prix de la Casserole Parisienne en mai 2011, membre d’un comité de réflexion sur la démocratie urbaine à Paris,

– conseillère de quartier à Boulogne-Billancourt,

– fan de tennis et de rugby, aficionado du tournoi de Roland Garros en direct des gradins depuis 1972 !