Réflexion : Roland-Garros, de l’ambition pour le tennis et pour la France du sport et de la culture

Dans un mois jour pour jour, la Fédération Française de Tennis (FFT) tranchera l’avenir des Internationaux de France de Roland-Garros, l’un des quatre tournois majeurs du fait de son statut de tournoi du Grand Chelem.

Étudiés depuis plusieurs mois avec attention, les quatre dossiers présentent chacun des avantages et des inconvénients.

Toutefois, malgré le poids de l’Histoire des « Mousquetaires », il est temps pour Roland-Garros de prendre un nouveau départ en quittant le berceau de la Porte d’Auteuil dans le XVIe arrondissement de Paris. L’urbanisation croissante au cours du XXe siècle aux abords du stade, rend aujourd’hui difficile l’extension du complexe sportif. Une extension qui, si ce choix était retenu, ne serait réalisée qu’à minima, accordant un surplus de 5 hectares en faisant passer le complexe de 8,5 à 13,5 hectares de superficie. Insuffisant face aux trois autres tournois majeurs du circuit ATP et WTA : Wimbledon (Royaume-Uni), US Open (Etats-Unis) et Open d’Australie et insuffisant aussi, face à l’émergence continue de nouveaux tournois (Madrid…).

Alors même si le statut même de tournoi du Grand Chelem n’est, à l’heure actuelle, pas menacé, il est primordial de donner une seconde jeunesse à un évènement de dimension mondiale (plusieurs centaines de millions de téléspectateurs chaque année) qui est aujourd’hui implanté sur un site trop exigu, ce qui pour la peine, constitue une réelle menace du fait de l’exigence de confort des joueurs bien sûr mais aussi des spectateurs. La capacité journalière d’accueil du site actuelle est de moins de 40 000 spectateurs. Les projets de délocalisation proposent une affluence en hausse avec l’accueil possible d’au moins 50 000 personnes. Un gain non négligeable en termes de retombées économiques mais aussi en termes d’image en Europe et dans le monde. Chaque année, pas moins de 100 000 demandes de billets sont refusées, faute de places suffisante.

La France doit aujourd’hui se replacer au coeur des réseaux sportifs internationaux, en montrant sa capacité d’évolution et de modernisation, en faisant un choix de logique : celui du déménagement.

Marne-La-Vallée et Versailles proposent à la FFT un site de 35 hectares tandis que Gonesse est en mesure d’offrir 22 hectares. Les trois proposent la mise à disposition d’une cinquantaine de cours de tennis, mais aussi et surtout, d’enceintes multifonctionnelles avec toits rétractables. Les sites de délocalisation permettraient chacun d’offrir à Roland-Garros, le titre de plus grand tournoi du Grand Chelem au niveau de la superficie.

A l’heure où la France souffre d’un sérieux retard concernant les salles de type Arena, il parait souhaitable d’accorder le tournoi à l’une de ces trois villes et ce, pour plusieurs raisons.

Tout d’abord, la couverture du Central et éventuellement du Central Bis, permettraient aux spectateurs mais aussi – notion essentielle à l’heure de la mondialisation et des flux radio-télévision-internet – aux téléspectateurs, d’assister à des rencontres de tennis nocturnes ou en cas d’intempéries, comme cela se fait sur les autres tournois du Grand Chelem. L’enjeu n’est pas seulement sportif, il est aussi économique et médiatique avec la possible diffusion de matchs en « prime time ». De plus, la possibilité de « couverture » des stades, pourrait permettre l’organisation d’évènements sportifs ou culturelles tout au long de l’année et non uniquement sur les quinze jours du tournoi de tennis. Imaginez un peu l’accueil de compétitions sportives dans un stade multifonctionnel de 18 000 places (Versailles) ou de concerts de vedettes nationales et internationales…

La France ne possède aujourd’hui que deux « grandes salles » à savoir le Palais Omnisports de Paris-Bercy depuis 1984 (17 000 places) et l’Arena de Montpellier (14 000 places) depuis Septembre dernier. La troisième grande salle multifonctionnelle se trouve à Pau. D’une capacité de 7 700 places, elle a été inaugurée en 1991.

A l’horizon 2012, Bordeaux devrait rejoindre Montpellier en inaugurant sa propre Arena. Villeurbanne (14 300 et Orléans et Dunkerque (10 000) devraient aussi proposer ce type de structures d’ici à 2014 pour un coût estimé entre 50 et 110 millions d’euros. L’Arena de Montpellier a quant à elle coûté quelques 68 millions d’euros.

A titre de comparaison, l’Allemagne, l’une des nations spécialistes des sports d’intérieur (« indoor ») possède pas moins de 18 structures de plus de 10 000 places. L’Espagne, terre de sports de plein air, a aussi franchi le pas des salles multifonctionnelles. Elle en compte aujourd’hui 12 et l’une des premières fut inaugurée à l’occasion des Jeux Olympiques de Barcelone… en 1992: le Palau Sant Jordi situé sur la colline de Montjuic a une capacité comprise entre 17 000 et 20 000 places (sports/concerts).

Pour l’heure, la France se situe à un niveau inférieur à la Belgique et à la Suisse (trois grandes salles).

Ce problème ne se pose pas uniquement pour l’accueil de compétitions internationales, il se pose aussi pour les compétitions hexagonales. Ainsi, le tournoi de tennis de Lyon a « déménagé » cette année à Montpellier en prenant le nom de « l’Open Sud de France ». Organisé depuis 1987 au Palais des Sports de Gerland, les organisateurs du tournoi ont voulu un espace plus grand pour un meilleur développement. Le Palais des Sports de Gerland a une capacité de 6 500 places contre 9 000 pour l’Arena de Montpellier en configuration « sports », avec la mise en place de deux courts de tennis dans le même complexe : le Court central (7 500 places) et le Court annexe (1 500 places). L’accueil et l’organisation de cette première édition avait reçu le soutien appuyé de la Ville de Montpellier et de la Région Languedoc-Roussillon.

L’aménagement de salles multifonctionnelles serait un « plus » pour le développement de certaines disciplines sportives peu ou pas médiatisées en France, à l’image du Basket-Ball qui compte actuellement plus de 450 000 licenciés et qui a déposé une candidature franco-allemande pour l’organisation de l’Euro 2015 masculin.

L’Etat avait proposé la mise en oeuvre d’un plan de développement des grandes salles avec une enveloppe de 140 millions d’euros. La communication n’a pour l’instant pas été suivie des actes… Mais la problématique des salles multifonctions pose aussi la problématique du mode de financement de ces « superstructures ». Dans les années 1980 à 2000, les Zéniths, exclusivement destinés à l’organisation de concerts et de spectacles culturels, ont été édifiés avec le soutien massif des Collectivités Territoriales, autrement dit, l’argent public. Or aujourd’hui, l’argent public ne peut être le seul moyen de construire une salle deux à trois fois plus importante qu’un Zénith. Il est donc nécessaire de faire appel à des investisseurs privés, sous la forme d’un partenariat de « naming » notamment, qui consiste à donner le nom d’une enseigne privée à un stade ou à une salle. L’Allemagne est l’un des pays précurseurs en la matière, avec par exemple le stade de Munich (2005) qui porte le nom d’une compagnie d’assurance : « Allianz Arena ».

La recherche de nouveaux modes de financement est nécessaire afin de mettre en oeuvre une politique volontariste pour rattraper notre retard et permettre la mise à disposition à destination des organisateurs de compétitions sportives, de spectacles et de conférences diverses, d’équipements multifonctions sur le modèle « Arena », capable d’accueillir en l’espace de quelques jours, un évènement sportif, un concert et un salon d’exposition. A l’étranger, ce type de salle existe, à l’image du Staples Center de Los Angeles (Etats-Unis), capable d’accueillir entre 16 000 et 20 000 personnes, pour des sports « indoor » ou des concerts. Prague possède l’O2 Arena (2004) d’une capacité comprise entre 11 000 (athlétisme en salle) et 18 000 places (concerts).

Outre le sport, l’aménagement de salles Arena serait donc bénéfique pour les professions du spectacle et des concerts mais aussi pour les organisateurs de congrès et autres expositions (salons automobiles, professionnels…).

Le développement des concerts au cours des dernières années, permet aisément d’appuyer cette démarche. Malgré un secteur de la musique en crise du fait de la baisse de vente d’albums notamment, le domaine des spectacles n’a jamais aussi bien marché avec l’organisation de concerts qui affichent bien souvent complets. Dès lors, il doit y avoir à disposition des grands « tourneurs », des structures de qualité afin d’accueillir des tournées d’envergure européenne et internationale (Madonna, U2, Muse…). Le succès du récent concert de Shakira à l’Arena de Montpellier en est le parfait exemple. Le 26 Novembre dernier, l’artiste a rempli la salle avec quelques 11 000 spectateurs. Si l’Arena montpelliéraine n’avait pas existé, la chanteuse n’aurait sans doute pas fait le déplacement dans le Sud de la France, mais ce serait probablement contenté d’un ou deux concert(s) au POPB, comme cela est de coutume chez d’autres artistes internationales à l’image de Madonna dont la dernière tournée – la plus lucrative de l’Histoire pour une artiste féminine soit dit en passant – n’a fait escale que par la salle parisienne.

Aujourd’hui, c’est toute l’économie qui dépend du développement ou non de ces salles multifonctionnelles. En proposant à la FFT de véritables Arena, les candidates à la délocalisation de Roland-Garros ont bien compris les possibles retombées. L’image d’un territoire tout entier peut s’en trouver bouleversé. Gonesse propose ainsi à la FFT, un site aujourd’hui en jachère et qui pourrait devenir d’ici quelques années, un espace incontournable du sport et des loisirs culturels. Versailles pourrait attirer de nouveaux touristes avec l’implantation du tournoi de tennis à quelques centaines de mètres du Château. Marne-La-Vallée enfin, pourrait accroître encore plus son formidable développement entamé avec l’aménagement du parc d’attraction de Disneyland, le seul de la marque « Disney » en Europe et qui s’est poursuivi avec l’inauguration du centre commercial de Val d’Europe, l’un des plus grands de France, qui accueille chaque année plus de 15 millions de visiteurs.

L’Etat et les Collectivités Territoriales ne semblent pas avoir pris la mesure des défis du XXIe siècle, tant au plan économique, que sportif ou culturel. Ce constat est regrettable mais ne fait qu’illustrer le manque de volonté politique dans ces domaines, qui se traduit indéniablement par « un impact négatif pour l’industrie du tourisme, un manque à gagner pour l’économie du spectacle, une carence pour le rayonnement du sport français et un handicap pour l’attractivité du pays et sa stratégie d’influence » pour reprendre les termes du Rapport Costantini dont je cite souvent les recommandations.

La France ne doit pas laisser passer sa chance de rattraper son retard, sous peine de se voir reléguée au rang des Nations de « second plan » au niveau sportif et culturel au profit de pays « émergents » dans ces domaines, comme la Serbie ou la République Tchèque.

Vous pouvez prendre connaissance de mon Mémoire « Impacts & Héritage des Jeux Olympiques modernes » réalisé au cours de ma Licence de Droit dans la rubrique « Mes Publications ».

Illustrations :

– Palau Sant Jordi, Barcelone (Flickr)

– Intérieur de l’Arena de Montpellier lors de l’aménagement de l’Open Sud de France 2010 (site officiel)

– Vue d’ensemble de Roland-Garros / Marne-La-Vallée (site officiel)

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